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N.B. : Ce texte a été publié pour la première fois le 20 août 2013. Malheureusement perdu avec l’attaque du site du R&N survenu quelques semaines plus tard, il est ici proposé à nouveau à nos lecteurs, avec ses références d’alors à l’année de la foi.
La renommée universelle de saint Bernard tient pour une bonne part à son rôle de prédicateur de croisades, de conseiller des Princes et des papes, de théologien marial et de docteur ; en un mot, à sa vie d’homme public.
On en oublierait presque que saint Bernard a été d’abord et avant tout moine. Et que le plus grand fruit de la vie, le plus pérenne aussi, ce sont les dizaines de monastères et les milliers de moines qui constituent aujourd’hui encore sa postérité.
Cette œuvre, notons-le, tout spécialement en cette année de la foi, ne doit rien à une quelconque « politique de recrutement », comme on dirait aujourd’hui ; elle s’est faite toute seule, par l’attraction mystérieuse qu’exerçait, et exerce encore, la foi radicale et l’exigence spirituelle de saint Bernard.
Quel est donc l’idéal qui attire tous ces hommes, sur les traces de saint Benoît et de saint Bernard ?
C’est tout simplement de vivre reclus, dans la stricte clôture d’un monastère, une vie faite de silence, de prière et de pénitence, le travail manuel lui-même étant une voie d’union à Dieu.
C’est la voie étroite de la perfection, qu’on appelle les « conseils évangéliques », et dont le Christ a exposé succinctement les principes au jeune homme riche.
Il ne faut voir dans cette aspiration aucun mépris du monde, mais simplement un souci de s’en abstraire, autant que faire se peut, pour un bien plus grand.
Il est en effet difficile, et un peu acrobatique, de vivre dans le monde sans s’y attacher quelque peu. La vie monastique aide à fixer le cœur dans un seul amour, sans partage.
Il ne faut pas y voir non plus de la misanthropie. Le moine vit en effet en communauté, et la vie communautaire est un terrain d’exercice exigeant pour la charité fraternelle.
La vie monastique n’est pas non plus une forme d’égoïsme spirituel, un égoïsme qui s’exprimerait par une abstraction des soucis et des labeurs du monde, comme si le moine cherchait essentiellement à sauver son âme en se désintéressant de celle des autres.
À notre époque où les prêtres malheureusement se font rares, certains se demandent : à quoi servent les moines ? Sans soustraire grand chose à leur vie de prière, ils pourraient très avantageusement participer à l’évangélisation active et au ministère pastoral.
Si l’on veut comprendre pourquoi des hommes, depuis les premiers siècles, ont eu l’intuition inspirée de se retirer du monde pour prier, pourquoi l’Église aujourd’hui, en dépit d’urgentes nécessités, protège et même promeut la vie monastique, il faut un regard de foi.
Un tel regard nous fait prendre du champ par rapport à la logique du monde.
Il nous fait comprendre que le temps consacré à la prière n’est pas un temps volé à l’action ; bien au contraire, il l’irrigue et la vivifie.
C’est vrai pour toute l’Église, c’est vrai tout autant pour chacun de nous individuellement.
Un regard de foi nous aide à comprendre aussi que rien de pérenne ni de fécond, dans l’ordre du Royaume de Dieu, ne procède de l’action seule, mais de l’action enracinée dans la prière.
Il nous rappelle également que, comme le soulignait saint Paul, il y a des « charismes » dans l’Église, autrement dit des talents et des vocations, qui s’épaulent et s’enrichissent mutuellement.
Celui que Dieu a appelé à une vie de prière resterait stérile s’il allait s’épuiser dans l’action. Sauf mission spéciale, comme justement saint Bernard, mais celui-ci a quand même passé le plus clair de sa vie dans son monastère.
La foi est à vrai dire le moteur et la pierre d’achoppement de toute vie monastique.
Il faut une foi solide pour s’engager dans un monastère. C’est en effet un don total et définitif de soi, un renoncement radical au monde et à ses attraits, même dans ce qu’ils ont de légitime. C’est une sorte de pari sur la grâce divine.
Ceci est vrai de toute forme d’engagement, notamment du mariage, mais ça l’est au plus haut point pour la vie monastique.
Il faut la foi également pour y durer. Rien de plus monotone en effet que la vie monastique : on y fait chaque jour la même chose à la même heure, pendant 50 ou 60 ans.
Les épreuves, les sécheresses ou les nuits spirituelles y prennent un relief particulier du fait de la claustration et de toute compensation sensible.
La vie intérieure y est guidée bien entendu par Dieu, et la vie naturelle y est soumise au strict joug de l’obéissance, maître mot de la Règle de saint Benoît. Toute forme de volonté propre y est donc remise entièrement, et offerte. C’est le prix que paye le moine pour accéder à la vraie liberté, et faut-il ajouter, à la joie qui en est comme le fruit.
Sa foi lui ayant fait remettre son libre arbitre entre les mains du Seigneur, le moine est un homme vraiment libre – de la liberté des enfants de Dieu – et un homme heureux ; non pas d’une courte et fragile joie humaine, mais de la joie de son Maître, dans laquelle il entre un peu plus chaque jour.
Cela dit, la foi du moine n’est pas une tour d’ivoire, au sens de repliée sur elle-même. Elle rayonne mystérieusement à travers les murs de son monastère, par l’exemple silencieux et invisible qu’il donne, et par sa prière, qui exerce une sorte de suppléance spirituelle au profit de tout le corps mystique.
Tout ce qui se fait de bon et de beau ici-bas, dans l’ordre des affaires du Royaume, toute avancée évangélisatrice, toute conversion individuelle, doit quelque chose à la foi et à la prière des moines.
Ce n’est pas un hasard si la Révolution française, dans sa dimension anti-chrétienne, n’eut de cesse de briser les congrégations religieuses et monastiques : c’était réduire l’Église à marcher sur une seule jambe.
Cela explique aussi pourquoi aujourd’hui, malgré un réel dénuement pastoral, les évêques considèrent comme une bénédiction l’installation dans leur diocèse d’une communauté contemplative : ils savent que c’est le poumon qui donnera son oxygène à tout le reste.
L’histoire en donne maints exemples.
Entre la fin de l’empire romain et le haut Moyen Âge, quand l’Europe était en butte aux invasions barbares et à la menace plus subtile des grandes hérésies, les abbayes d’Occident furent comme des bastions de la foi, mais aussi des bastions de la culture, de la science et même de l’économie, en un mot des bastions de la civilisation.
Le fruit achevé de la vie monastique a été le Moyen Âge. Les grandes abbayes sont au faîte de leur croissance, de leur influence et de leur puissance, et saint Bernard est une figure emblématique de cet état.
Malheureusement, dans les affaires du Royaume de Dieu, si le succès est une grâce, il recèle aussi des dangers. Les moines, pas plus que nous, n’échappent à la blessure héritée de nos premiers parents. Il y eut des époques où les grandes abbayes, victimes de leur succès, dériveront insensiblement vers une sorte de gestion de leur propre puissance. Même chez les meilleurs, il arrive que le sel s’affadisse…
Cependant, il y eut toujours des hommes à la foi intacte – saint Bernard, plus tard l’abbé de Rancé avec la Trappe – pour raviver la flamme et redonner à la filiation de saint Benoît la foi drue et la vigueur mystique des origines.
En cette année de la foi dans laquelle nous sommes encore, nous pouvons demander à la prière des moines de nous obtenir une foi plus ferme et plus vivante ; pas seulement une foi intellectuelle, mais une confiance plus profonde et plus radicale en la grâce de Dieu.
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