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Cet article fut perdu suite à notre piratage. Nous l’avons heureusement retrouvé. Eu égard à son caractère atemporel, il mérite une seconde publication.

Dans le fragment dit « des trois ordres », Pascal suggère le vertige correspondant à chaque ordre. La première phrase donne le ton, et nous fait prendre conscience de la richesse de notre action dans l’ordre de la sagesse, dans l’ordre de la sainteté. Il dit : « La distance infinie des corps aux esprits figure la distance infiniment plus infinie des esprits à la charité, car elle est surnaturelle ».

Il est donc une autre chose que nous pourrions retenir de Pascal, concernant l’action des Veilleurs et la force qu’elle représente : c’est la liberté, infinie, celle qui naît de la connaissance que nous avons de l’ordre dans lequel nous nous situons, connaissance qui fait se déployer alors le champ des possibilités. Il nous faut apprendre à agir conformément à l’ordre dans lequel nous nous trouvons. Nous ne luttons pas pour des choses éphémères, transitoires, mais pour des choses durables, puisqu’il s’agit de l’homme. Ainsi, nous ne devons pas employer les moyens de ceux qui luttent pour leurs intérêts immédiats ; il faut savoir leur répondre dans leur ordre, mais il faut leur montrer aussi et avant tout que nous nous situons dans le champ du permanent, à un niveau infiniment au-dessus d’eux. Apprendre à agir dans notre ordre, c’est découvrir la force de notre action, son étendue. Savoir dans quel ordre nous nous situons nous permet de découvrir tout ce que nous pouvons y faire : une libération, autrement dit.

Les Veilleurs situent leur action dans un autre ordre que l’ « ordre de la chair ». Les Veilleurs ne font pas de politique : ni harangue, ni programme électoral. Il s’agit plutôt d’une action à visée anthropologique, de la veille pour la reconnaissance de l’homme et de ses droits fondamentaux, de la mise en valeur du patrimoine artistique sous toutes ses formes, que ce soit la lecture solennelle de textes littéraires ou les veillées au pied de Notre-Dame de Paris, joyau de l’architecture médiévale ; c’est aussi le chant d’hymnes porteurs d’histoire et de valeurs – cela même qui est capable de résister à la pression des idéologies politiques et aux constantes et incertaines fluctuations du politique. Rien du politique ne pourrait nous atteindre, avoir une quelconque prise sur notre action, si nous savons rester dans cet ordre qui est le nôtre :

De tous les corps ensemble on ne saurait en faire réussir une petite pensée. Cela est impossible et d’un autre ordre. De tous les corps et esprits on n’en saurait tirer un mouvement de vraie charité, cela est impossible, et d’un autre ordre surnaturel.

Régnons donc dans notre ordre. Pendant ces derniers mois, nous nous sommes levés contre un projet de loi – et maintenant nous nous levons contre une loi – contre lequel nous n’étions pas d’accord, et même plus, contre un projet de loi illégitime puisque portant atteinte au bien de la famille, donc de l’homme et partant de la société. Nous avons signé des pétitions, manifesté notre désaccord, enfin notre mécontentement, et même notre colère. Puis les Veilleurs sont arrivés : ce mouvement a permis de canaliser une partie de la violence qui commençait à poindre, et de la transformer en une force non plus seulement politique, mais culturelle, spirituelle. C’est à ce moment-là qu’est née, je crois, la conviction selon laquelle arrive un moment où la lutte directement politique ne suffit plus, et où un autre champ de lutte, avec ses armes et son combat propres, doit s’ouvrir pour féconder ce mouvement d’opposition. Il me semble que ce mouvement des Veilleurs pourrait se réclamer du second ou du troisième ordre pascalien.

Les Veilleurs doivent donc nous donner la direction à prendre dans notre lutte à venir. Notre fin : changer la société. Une société dans laquelle il fasse bon vivre, où nos enfants pourront grandir avec leurs parents, au sein d’une famille unie, où des écoles peuvent transmettre un savoir jouissant de la liberté d’enseignement. Une société où les loisirs et la mode nous renvoient une image propre de l’homme et de la femme. En somme, ce que nous recherchons se situe dans un ordre qui serait entre l’ordre de l’esprit et l’ordre de la charité : un ordre de la culture que sous-tend une anthropologie rayonnante. Et quels moyens mettrons-nous en œuvre ? Des moyens adaptés à la fin. Ce n’est pas une fin politique. Certes, nous sommes en droit d’espérer que de notre mouvement naîtront des vocations politiques. Mais notre mouvement dépasse toutes sortes de clivages. Nous portons une vision de l’homme. Le moyens : la culture, la famille, l’éducation. A ceux qui sont tentés par l’action, par la violence, par l’efficacité immédiate comme l’ont été certaines personnes : qu’ils se demandent ce qu’ils veulent exactement. Une société qui permette à leurs enfants de grandir équilibrés. Une société qui soit respectueuse des différences mais non relativiste, ayant la dignité de l’homme, de la femme et de la vie humaine toujours présente à l’esprit. Ainsi, nous disons non à la violence. Oui à la violence si nous n’avons aucune espérance dans l’homme. Oui à la violence si nous ne choisissons que le terrain de la politique, dans ce qu’elle a de plus concret, de plus immédiat. Oui à la violence si nous ne croyons pas en la culture, en l’éducation. La violence, c’est ignorer que l’ordre du corps n’est pas le seul ordre dans lequel nous pouvons agir. La violence est aussi la preuve que l’on estime encore trop l’ordre du politique, au détriment des deux autres ordres. Relativisons donc l’ordre politique, et réapprenons à lui donner sa vraie place.

Nous avons trois armes. La première, c’est l’exemple personnel. Nous devons être des personnes droites, qui visent le sommet de chacun des ordres dans lequel nous nous trouvons : chacune dans son « ordre » : être de bons politiciens pour ceux qui s’y destinent, c’est-à-dire acquérir un bon jugement, développer la force intérieure, une formation solide, compter sur le soutien de la famille et des amis, acquérir une sagesse pratique, et recherche du bien commun sans naïveté et avec lucidité ; devenir sage et soigner sa culture, sa formation, de manière à l’emporter sur les personnes ignorantes ou malveillantes ; et la recherche de la sainteté pour les chrétiens.

Notre deuxième arme est la culture : comme dirait Hannah Arendt, la culture reste et permet au monde de durer, au-delà de la sphère de la consommation et de la sphère du politique ; elle est donc ce qui nous parle de l’homme dans ce qu’il a de permanent, de beau aussi. C’est cette beauté, si forte, qui nous permet d’espérer, d’une espérance qui n’est pas vaine puisque fondée sur une beauté réelle et objective, et ce malgré tout le mal que l’homme peut faire.

Notre troisième et dernière arme est l’éducation : nous devons protéger la famille, retrouver l’équilibre des familles unies  ; puis promouvoir les associations de parents d’élève, veiller sur les programmes scolaires, aider les parents à s’associer entre eux, agir concrètement. Il faudra parfois créer des écoles, pour qu’une vision propre et vraie de l’homme soit transmise.

Nous ne situons pas notre mouvement dans l’ordre de la chair (ou du corps) : notre but est anthropologique, culturel, et ainsi nos moyens sont d’un ordre autre que politique. Nous n’avons pas besoin de violence pour exister, ou se faire reconnaître : car nous défendons déjà une vision de l’homme qui perdure, universelle : liberté mais aussi responsabilité, égalité en même temps que respect de l’altérité et de la différence, et enfin fraternité. Notre silence fait notre force intérieure. Nos armes sont la culture et le respect des autres. Nous ne sommes pas dans l’ordre de la politique. Nous sommes « infiniment » au-dessus.

Il ne faut pas être uniquement en « résistance » : dans quelle mesure la société est-elle contre nous ? Ne sont-ce pas plutôt des gens qui sont contre nous ? Ce sont des décideurs, des directeurs de médias, de comm’, de pub, des hommes politiques et de fortes personnalités ; mais ce n’est pas le système, ou la société, qui sont contre nous. Nous voulons construire, non détruire : la société est une amie, nous y sommes nés. Il faut donc y rester, y trouver la place qui est la nôtre pour pouvoir changer les choses là où nous sommes.

Paul Escalpa

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