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Il fut un temps où la fête de tous les Français était l’Assomption. Alors, le royaume des lys se confondait avec celui de Marie. Heureux temps où l’amitié politique entre sujets s’enracinait dans la confiance envers le Fiat de l’humble servante ! Les armes de France triomphaient d’autant que ses bannières étaient frappées des saints noms de Jésus et Marie.
Puis il y eut la tempête. Des vaisseaux y sombrèrent, innombrables. Il en sombre encore. Dans la tourmente, des sémaphores guident le pèlerin. Non un unique phare, au loin, mais bien une flottille de lumière ; mieux, une constellation.
Partout, des milliers de bougies. Des bouquets déposés aux pieds des statues de Notre-Dame. Des chapelles de pierre sèche parsemant la campagne méridionale, aux fières cathédrales des plaines picardes, des mains d’enfants dressent des couronnes à la Reine de France.
Chaque province, chaque terroir apporte quelques fleurs en hommage à l’Immaculée. Chaque coin de terre a sa plume chrétienne : la Haute-Bretagne a Chateaubriand ; la Normandie, La Varende ; la Beauce et l’Orléanais, Péguy. La lumineuse Provence a elle aussi son monument. Il s’appelle Frédéric Mistral.

L’auteur du Tresor dóu Felibrige ne fut pas le dernier à faire à la Sainte Mère l’honneur de quelques vers. Le Félibre de Maillane ne pouvait manquer de célébrer la dévotion de son peuple qui, des ruelles d’Avignon aux îles de Lérins, des Saintes-Maries au port de Toulon, communie en un refrain : Prouvençau e Catouli  ! Mistral ne pouvait non plus omettre sa qualité de Français. Français aux mille terroirs, évidemment ; À mille lieues du jacobinisme niveleur, cela va de soi. Aussi le poète provençal composa cette Ode à l’Immaculée Conception , célèbre pour son Invocation de Notre-Dame de toute la France, c’est-à-dire de toutes les provinces, de toutes les traditions, de toutes les langues ancestrales.
En conclusion de la Neuvaine pour la France, nous vous proposons de redécouvrir cette prière où, à chaque vers, la dévotion se mêle à la mémoire d’une Patrie riche de ses provinces.

« Ô Belle Vierge immaculée qui, emmantelée dans les astres, veilles sur notre monde et nos vaines agitations ;
Ô douce Reine de la France qui d’un regard béatifique peux confondre l’enfer et ses sarcasmes ;
Des mains indignes du félibre, reçois bienveillante ce livre où les peuples de la France ont imprimé leur foi.
Sur chaque puy, sur chaque cime, notre nation très chrétienne t’éleva des chapelles au ras des nues ;
Toutes les fleurs de ses montagnes, de Provence à la Bretagne te brulèrent leur encens ;
Et tous ses oisillons te chantent les Sept Allégresses qu’à Bethléem tu leur appris quand tu berçais ton Fils enveloppé de lumière.
Il n’y a point de bourg qui, en émoi ne te consacre chaque année son mois de mai, ô femme triomphante qui écrasa le serpent !
Et point de reine sur le trône et point de prêtre dans son prêche, sur mer point de marin ou de pâtre au désert qui ne t’appelle Notre-Dame !
Et l’univers, d’âme et de cœur, Te prie agenouillé et s’unit au concert.
Mais si tu es, ô Bienheureuse, à Toulouse Notre-Dame la Daurade car l’or pur du soleil est effacé par toi ;
Si entre Avignon, Marseille et Vence, si tu es Notre-Dame de Provence car sainte Anne et sa tombe y appellent tes bienfaits ;
Sur la roche Corneille du Puy, tu es, ô Vierge aimée, Notre Dame de France, un nom que nous te fîmes !
Ta gloire croît de siècle en siècle, car ton sein vierge est un ciboire où mon Rédempteur s’incarne pour moi !
Et tu es la merveille humaine car dans son sang et dans sa fille, Adam peut vénérer la Mère de son Dieu ;
Tu es près de Dieu l’avocate qui défend l’homme et qui le couvre contre le courroux du ciel et ses foudres vengeresses.
De ta couronne virginale, hier enfin unanime l’Église a voulu dévoiler le diamant le plus beau ; et le grand prêtre du Très-Haut ;
Celui qui tient l’anneau de Pierre, a fait sur nos ténèbres resplendir le flambeau, te proclamant Immaculée comme la neige amoncelée qui se fond en rivière au lever du soleil.
Neige du Liban, neige éternelle où l’Idéal divin s’était dit avant le temps de jeter son rayon ;
Neige pure, éblouissante, neige blanche qui, au contact de l’étincelle illumina d’amour la terre et le ciel bleu ;
Neige plus que les lis brillante que l’ange, nous dit l’Évangile, de la part du Seigneur vint saluer !
Aujourd’hui les langues antiques de notre France, ô fleur mystique, veulent te saluer pour embaumer leur fin : mères du peuple, humbles et craintives, mais avec foi et de bon cœur, avant que de mourir, elles viennent te demander le sauvement de cette France qui tant de fois rompit sa lance pour défendre les uns ou pour aider les autres.
Les populaires parleries de saint Elzéar, saint Hilaire, de saint Vincent de Paul, du pèlerin saint Roch, les pauvres vieilles défaillantes que, dédaigneux, le monde oublie, viennent te rendre grâce de t’être sur nos rocs manifestée à l’innocence, lorsque tu la ravis dans l’éclat de l’Extase, lui parlant doucement en notre langue d’oc.
Louange à Toi, Mère du Verbe ! Tu abaisses ainsi les superbes, élevant les petits jusques à tes pieds blancs...
Et sur les montagnes bénies que tu t’es choisies pour autels, à la pointe des Alpes, au front des Pyrénées, aussitôt prononcés tes oracles, aussitôt les miracles se montrent, et ta source aux malades moribonds rend la vie !
Arrière donc, science profane, avec ta présomption qui s’obstine à nier les pouvoirs du Maître tout-puissant ; toi qui te vantes d’être à point pour maîtriser la grande nature, arrière !
Au fond des cœurs une autre voix s’entend qui, surnaturelle, crie : « En bas, la science est défleurie ; en haut, au sein de Dieu, la science reste en fleurs ».
Sainte Marie, éclaire-nous ! Que notre race ne s’enténèbre pas dans les ivresses, la fumée et l’orgueil de la matière !
Oui, déchire de ta splendeur la nuit obscure qu’aujourd’hui sur le monde entier le mal répand ; avec ton Fils qui saigne encore sur ton giron, éblouis, ô Mère, tous les malfaiteurs qui sèment l’ivraie.
Ainsi soit-il. »

Frédéric Mistral

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