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Méditation du Frère Augustin-Marie Aubry, de la Fraternité Saint-Vincent-Ferrier (www.chemere.org)
« Il est bon de se coucher loin du monde vers Dieu, pour se lever en lui » (Rom., II, 2). C’est ainsi qu’Ignace, évêque d’Antioche, décrit son itinéraire géographique et spirituel. Géographique, car le saint évêque, arrêté par les soldats de l’empereur, est transporté d’Antioche à Rome, de l’Orient à l’Occident. Ignace, en gagnant l’Occident, le lieu où se couche le soleil, pour aller mourir sous la dent des bêtes, va aussi se coucher du sommeil de la mort. Mais son itinéraire est aussi spirituel, car en se couchant à l’Occident pour témoigner du Nom de Jésus-Christ, il sait qu’il va revivre dans le Christ, notre Orient, le Soleil de Justice, et ressusciter en Lui. Saint Ignace tourne notre regard vers l’Orient, vers la mort, vers le Christ.
I. Vers l’Orient, car cet évêque nous transporte dans les premiers temps de la diffusion de l’Évangile. Ignace a connu saint Pierre, il sera son deuxième successeur sur le siège primatial d’Antioche. L’Antioche d’aujourd’hui, à la charnière entre la Turquie et la Syrie actuelle – que Dieu leur accorde la paix ! – n’est plus ce qu’elle fut. L’Antioche du premier siècle, avec Alexandrie, constituait dans l’empire romain la grande métropole orientale. Cet Orient, si proche de nous par le cœur et l’esprit, fut le berceau de notre manière de vivre et de penser, le vivre et le penser en Jésus-Christ. Souvenez-vous de ce que nous disent les Actes des Apôtres : « C’est à Antioche que, pour la première fois, les disciples reçurent le nom de “chrétiens” » (11, 26). J’ajoute qu’Ignace, à la différence du juif Paul, est un païen. Avec Ignace, on a une des premières synthèses chrétiennes de l’esprit des Écritures avec la sagesse des grecs.
II. Vers la mort ensuite, car l’essentiel de ce que nous savons d’Ignace nous est transmis par les sept lettres qu’il écrivit sur la route d’Orient en Occident, du lever au coucher du soleil, de la naissance à la mort de la lumière, entouré de gardiens, car Ignace est condamné aux bêtes. Ces lettres, écrites à l’encre de feu et qui ne trouvent leur comparaison que dans les écrits des divins Paul et Jean, sont le testament spirituel d’un homme qui marche à la mort. Mais cette marche à la mort se transforme en cortège triomphal, quand les chrétiens des cités traversées par l’escorte viennent soulager, encourager, féliciter le saint évêque. À Philadelphie, puis à Smyrne, Ignace reçoit les témoignages d’affection des chrétiens d’Ephèse, de Magnésie, de Tralles. De Smyrne, il écrit aux chrétiens de ces trois villes, ainsi qu’aux Romains, pour les prévenir de son arrivée. Cette lettre aux Romains est sans doute ce qui s’est écrit de plus beau dans la littérature chrétienne, en dehors des Ecritures. Et cet homme qui a déjà un pied dans la tombe est rayonnant de joie, sa bouche est pleine de paroles d’édification pour les chrétiens ses frères, qu’il invite à la patience dans les épreuves, à l’unité autour de l’évêque, à la vigilance contre les hérésies naissantes. Sans cesse, il exhorte à la foi et à la charité. Quittant Smyrne pour Troas, il rédige encore trois lettres : à Polycarpe, le jeune évêque de Smyrne, qui l’a accueilli, et qui plus tard suivra la trace d’Ignace sur le chemin du martyre. Ignace écrit encore aux chrétiens de Smyrne et de Philadelphie.
Dans toutes ces lettres, Ignace nous donne une leçon de sain réalisme chrétien : nous vivons pour le Royaume. Certes, la modernité nous a invités à porter sur le monde et ses valeurs un regard positif. Soit. Mais la réalité profonde, c’est que nous ne serons révélés pleinement à nous-mêmes que dans la gloire auprès du Fils. Il faut désirer le ciel avec ardeur, y tendre de toutes nos forces. Ce désir inclut la juste attitude par rapport aux réalités du temps. Mais, contre l’avachissement immanentiste d’une pensée qui voit en l’homme la fin de toutes choses, nous disons, affirmons, chantons et prêchons que la fin de l’homme c’est Dieu, sa gloire et son rejaillissement infini dans les esprits créés, anges et hommes, qui participeront à la ronde éternelle dont le centre est la Trinité. Ignace, comme saint Etienne avant lui, ou Polycarpe après lui, a le regard de la foi rendu perçant par la perspective de la mort. Pourquoi cet enthousiasme dans cette marche au supplice ? « C’est lui que je cherche, ce Jésus qui est mort pour nous ! c’est lui que je veux, lui qui est ressuscité à cause de nous » (Rom., VI, 1).
III. Vers le Christ enfin, car de ces pages écrites malgré l’inconfort du voyage et le désagrément de la cohorte qui le maltraite en le conduisant s’exhale un parfum extraordinaire : Ignace suinte, déborde du Christ qui vit en lui ! Et si le Christ vit en lui, c’est qu’Ignace vit pour le Christ, et ne vit que pour lui. Pour quoi croyez-vous qu’il fut arrêté ? Est-ce pour avoir tourné en ridicule les païens, est-ce pour les avoir caricaturés ? Non. « De Syrie, raconte l’historien Eusèbe de Césarée, Ignace fut envoyé à Rome pour être livré en pâture aux bêtes sauvages à cause du témoignage qu’il avait rendu au Christ » (H. E., III, 36). Le Christ est notre vie, car comme Dieu il donne la vie, et comme Sauveur il la restaure : « Il n’y a qu’un seul médecin, à la fois chair et esprit, engendré et non engendré, Dieu fait chair, vraie vie au sein de la mort, né de Marie et de Dieu, d’abord passible et maintenant impassible : Jésus-Christ, notre Seigneur » (Eph., 2, 2).
Chrétien, si la lourdeur des jours te pèse, lis les lettres d’Ignace ! On y apprend l’honneur d’être disciple : « Depuis la Syrie jusqu’à Rome, je combats contre les bêtes, sur terre et sur mer, nuit et jour, enchaîné à dix léopards, c’est-à-dire à un détachement de soldats ; quand on leur fait du bien, ils en deviennent pires. Mais par leurs mauvais traitements, je deviens davantage un disciple, mais “je n’en suis pas pour autant justifié”. Puissé-je jouir des bêtes qui me sont préparées. Je souhaite qu’elles soient promptes pour moi. Et je les flatterai, pour qu’elles me dévorent promptement, […]. Et si par mauvaise volonté elles refusent, moi, je les forcerai. Pardonnez-moi ! Ce qu’il me faut, je le sais, moi. C’est maintenant que je commence à être un disciple. Que rien, des êtres visibles et invisibles, ne m’empêche par jalousie de trouver Jésus-Christ. Feu et croix, troupeaux de bêtes, lacérations, écartèlements, dislocation des os, mutilation des membres, mouture de tout le corps, que les pires fléaux du diable tombent sur moi, pourvu seulement que je trouve Jésus-Christ ! » (Rom., V, 1-3).
Pour aujourd’hui, Ignace nous rappelle qu’on souffre, qu’on meurt en Orient. Aujourd’hui comme hier, les tenants du pouvoir, reçu ou volé, empereurs ou califes, vengent sur les chrétiens leur ignorance de Dieu. Mais dans la mort, le chrétien voit la vie qui lui est promise ; car la mort est un seuil que Jésus, notre Dieu, a déjà franchi. Il l’a franchi et en a fait le tremplin de la vie éternelle. Celui qui est uni à Jésus-Christ dans la mort, lui sera uni aussi dans la vie.
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