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Liberté monarchique & servitude démocratique

I.

Sur les concepts de liberté & de servitude

L’homme avisé cherche la liberté où elle peut se trouver. On ne peut tenter ni a fortiori choisir l’impossible en liberté. La recherche de l’impossible relève en effet de la quête stérile ; cette recherche réduit qui l’engage à l’esclavage, et l’enchaîne à des phantasmes. Aussi bien, nier les lois de nature et les renverser — par provision — à son profit ne peut être assimilé à la liberté conquise sur les liens de toujours. Non-plus, inscrire son action hors des desseins de la Providence, et comme contre-eux, ne peut passer pour de la liberté.

La liberté en conscience est la vraie liberté. Elle dépasse au premier chef la liberté illusoire, vanité la plus grave, qui occulte la servitude réelle, et au second chef la liberté inconsciente, qui est un danger pour elle-même si elle incite son titulaire abusé à vouloir la dépasser. Si nous disons que la liberté ne s’entend qu’en conscience, alors il faut admettre que la liberté succombe à l’erreur : le faux est l’empire de l’aliénation, dans lequel l’aliénation prospère loin des yeux et des consciences. Qui se gouverne sans l’étai de la vérité perd de fait sa liberté. Or, qui plus que l’homme est sujet à l’erreur ?

Un gouvernement humain trouve souvent grâce aux yeux du plus grand nombre pour ces deux raisons : par ce qu’il est la chose des hommes eux-mêmes, et non l’instrument d’un joug extérieur ; par ce qu’il est supposé agréger les talents d’un petit nombre de gouvernants aguerris. Mais qui s’y soumet, se soumet in fine à l’homme lui-même. Or, le degré de perfection d’une construction ne peut dépasser le degré de perfection de sa composante la moins parfaite. Aussi, le gouvernement des hommes n’est ni plus ni moins soumis à l’erreur que l’homme lui-même ; et qui s’y soumet de bonne foi en croyant y trouver sa liberté se soumet en fait à l’erreur d’autres hommes.

Aux dires d’un Jean-Jacques Rousseau, observer les lois d’un gouvernement humain démocratique est tout aussi anodin que se fixer ses propres règles, car obéir à un homme équivaut alors à obéir à soi-même. Il faut mener cette analyse à son terme et dire : se soumettre à l’erreur d’un gouvernement humain est équivalent à se gouverner selon ses propres erreurs. En quoi chercher la liberté dans un gouvernement démocratique est tout aussi illusoire que chercher pour soi-même la liberté avant la vérité.

Pourtant, si nous somme tous sujets à l’erreur, est-il donc pire de subir l’erreur d’autrui que la sienne propre ? Un détour nous est ici nécessaire.

II.

Sur les conditions de tempérament d’un système politique

Un postulat communément admis relie la concentration des pouvoirs aux régimes liberticides. Le détenteur du pouvoir, pour paraphraser le baron de Montesquieu, serait naturellement porté à en abuser ; la liberté de tout un chacun s’en trouverait menacée. Si bien qu’une méfiance naturelle — et probablement de bon aloi ! — des hommes à l’égard de leur gouvernement les porte à en organiser la division. Aux uns le pouvoir de légiférer, aux autres d’exécuter, aux derniers de rendre la justice.

La théorie classique retient alors deux grandes familles de modalités de séparation des pouvoirs. La première est dite souple : les pouvoirs et leurs titulaires sont distincts et séparés, mais ni étanches ni autarciques. Ces pouvoirs interagissent les uns sur les autres, se font et se défont, et par le jeu de leurs actions respectives se modèrent. En régime parlementaire, emblème de la séparation souple, le législatif engendre l’exécutif, qui peut à son tour le dissoudre, mais au prix de sa propre démission. La seconde famille de régimes politiques appartient à la tradition de la séparation rigide : les différentes sphères du gouvernement sont formellement impuissantes les unes contre les autres, et sont impuissantes sans le secours les unes des autres. Les régimes présidentiels, avec leurs freins et contrepoids, en sont l’illustration : l’exécutif ne peut dissoudre le législatif, qui ne peut lui-même le renverser, en sorte que nulle crise politique ne peut trouver son dénouement en-dehors de leur accord de volonté.

S’il appartient à chacun de suivre ou non la conclusion qui fait descendre les tempéraments gouvernementaux d’une organisation constitutionnelle, plutôt que d’une tradition politique ou d’un degré de civilisation suffisamment élevé, il n’échappe à aucun que cette conclusion fait l’économie de la donnée d’équivalence. Pour interagir les uns sur les autres, ou pour être capables de s’empêcher mutuellement, les pouvoirs séparés par la loi fondamentale doivent être de force équivalente, et ne sauraient être trop inférieurs ni trop supérieurs les uns aux autres.

III.

La force invincible du nombre

Nous concluons après ce qui précède que les systèmes politiques démocratiques ne peuvent être modérés, et au sens des penseurs séparatistes, ne peuvent garantir la liberté. Pour arriver à cette observation, il faut rappeler la caractéristique fondatrice de la démocratie au regard de la définition d’un système politique : le système politique démocratique est celui qui inclut ses ressortissants au nombre de ses composantes actives.

Les enseignements de la pensée de Montesquieu n’ont pas lieu de changer ; pour protéger la liberté, le système démocratique doit observer une séparation des pouvoirs, qu’elle soit souple ou rigide. L’épreuve des faits indique que cette séparation reste essentiellement hypothétique : les peuples les plus souverains ne dissolvent eux-mêmes que rarement leurs assemblées ni leurs exécutifs, et en tous les cas jamais — en dépit du mot de Berthold Brecht et des tentatives répétées des soviétiques — un gouvernement n’a dissous son propre peuple.

Il serait naïf ou malhonnête de s’étonner de l’inaction du peuple et de son gouvernement l’un sur l’autre. Le premier recèle une masse infinie mais inerte, le second, de puissance négligeable, ne doit son existence qu’au levier formidable que lui sert le concept de légalité. Il est bien plutôt question ici de relever les potentialités. Ce que le peuple encourt face à son gouvernement est tout à fait congru à la parfaite désorganisation qu’il oppose, dans un premier temps, au titulaire de la rationalité pyramidale bureaucratique, policière et martiale. Ce que le gouvernement craint de son peuple a été vu avec justesse par Hippolyte Taine rapportant dans ses Origines de la France contemporaine le témoignage de Clément d’Alexandrie qui voit en Égypte des prêtres nourrir d’une main tremblante des crocodiles terrés dans des temples, et certains se faire dévorer en parfaites victimes de l’arbitraire de la puissance brute.

Si l’on confronte le peuple et son gouvernement, ce dernier ne peut sortir vainqueur, surtout s’il cherche son appui dans le peuple. La condition d’équivalence, au fondement des doctrines séparatistes, est rompue. On ne peut chercher à l’appui des thèses démocratiques l’argument de la modération par la séparation.

Cette conclusion serait rendue parfaitement anodine si la masse du peuple se gouvernait de façon unanime et rationnelle. Un peuple unanime ne ferait courir de risque qu’à son gouvernement, lequel, censé être son serviteur, ne saurait demander mieux. Un peuple rationnel dans son unanimité ne serait la dupe d’aucune erreur collective ; autrement dit, il ne commettrait ni plus ni moins d’erreurs que chaque homme pris de façon individuelle. La résultante de l’effet-nombre sur la liberté par le fait de l’erreur serait donc nulle : une multitude ne serait ni plus ni moins libre que chacun des individus qui la composent.

Or, parmi le peuple, c’est le groupe le plus nombreux qui impose sa force, sa raison et ses erreurs in fine. La démocratie est la tyrannie du nombre à laquelle l’unanimité se soumet. Elle est même la tyrannie des erreurs du plus grand nombre à laquelle la recherche de la liberté par le truchement du vrai est obligée de succomber, faute de se rendre à l’exil.

IV.

L’obéissance est liberté quand elle s’inscrit dans la verticalité

Il est temps d’agréger les conclusions qui précèdent. Un gouvernement démocratique et libre est une contradiction (III.) : le nombre y surpasse et remplace le vrai. Plus généralement, se soumettre à un gouvernement humain, c’est substituer, sans garantie ni espoir d’une rationalité supérieure, une verticalité légale (le mythe de gouvernants plus aptes que quiconque à recevoir et propager le vrai) à une horizontalité naturelle (l’égalité de chacun face à l’erreur). Les doctrines séparatistes, essentiellement formalistes, ne sont elles-mêmes d’aucun secours (II.) : bien qu’elles paraissent diluer le risque d’atteinte à la liberté par le gouvernement, elles ne sont opérantes que si le peuple n’est pas partie au système politique — à peine pour lui d’en chasser l’équilibre relatif.

Relier ces deux conclusions conduit à l’aporie suivante : le peuple ne peut préserver sa liberté par le moyen de systèmes démocratiques auxquels il participe activement ; ce faisant, il ne peut non-plus sans erreur désigner une fraction de lui-même et l’appeler à le gouverner, ou tenir, par acte de reconnaissance, cette fraction pour intrinsèquement légitime, tout en se retirant des affaires politiques.

Il faut donc revenir sur deux postulats : que le gouvernement humain est bon parce que délié du joug de l’extérieur ; que ce gouvernement autorise dans son sein la recherche de la liberté. Puisqu’un gouvernement démocratique et libre est un impossible, nous nous devons de chercher la liberté ailleurs : la liberté est sujette de l’empire du possible (I.).

Un gouvernement qui garantit réellement la liberté doit s’ancrer à un principe exogène (à savoir non-humain) et exempt d’erreur. Au risque d’insister, la liberté ce faisant garantie ne saurait être illimitée : elle ne peut être que congrue, dans son extension maximale, aux possibilités que lui ménage ce sur quoi elle n’a aucune prise. Si nous disons que ce principe exogène, qui assume pleinement la verticalité, est tout entier dans Dieu Lui-même, nous comprenons distinctement que nous ne pouvons prétendre à une liberté qui serait déicide ; car nul ne peut plus aspirer raisonnablement à tuer Dieu. Le système politique qui ménage la liberté procède du divin ; il est visible par ce qu’il s’incarne dans la royauté du Christ, à laquelle ses réplications temporelles, politiques, doivent leur existence ; l’imitation qui lui est la plus fidèle est celle du gouvernement d’un seul roi vassal du Christ.

La monarchie absolue de droit divin offre les possibilités d’une liberté que ruine l’illusion démocratique.

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