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Les Minquiers, entre France, Angleterre et Patagonie

Recension de l’ouvrage de Philippe Renaud, La Guerres des Minquiers, publié en 2013 aux éditions OREP. 80 pages. 13,20 euros.

Un archipel battu par les vents, entre la baie du Mont Saint-Michel et Jersey. Sur place, quelques cabines de pêcheurs, granit rose et front bas, courbent l’échine pour échapper aux déferlantes. Nulle âme qui vive, hormis quelques pêcheurs faisant halte après avoir relevé leurs casiers.
A priori, pas de quoi fouetter un chat. Ni écrire un article. Encore moins un livre. Et pourtant, c’est bien ce à quoi s’est attelé le normand Philippe Renaud. Auteur de La Guerre des Minquiers, le natif de Sainte-Mère-Église donne à cet archipel de la Manche ses lettres de noblesse. Il nous rappelle, dans un ouvrage plaisant, hâletant et savamment documenté, l’importance stratégique de ces îles qui, pour inhabitées qu’elles soient, n’en occupent pas moins une place de choix dans l’histoire des relations franco-britanniques.
Par la géographie, d’abord. Les Minquiers sont situés entre les Chausey (archipel normand, au large du Mont Saint-Michel, et dépendant de la commune de Granville) et les États de Jersey, dépendance de la Couronne britannique. L’affaire des Minquiers est avant tout normande : à qui, des normands continentaux ou jersiais, ces rochers appartiennent-ils ?
Les soubresauts de l’histoire, en effet, ont séparé les destins respectifs des normands terriens et insulaires. Unis à la Couronne d’Angleterre depuis la conquête de 1066, Jersiais et Cotentinois sont tous normands ; pourtant, la commise des fiefs de Jean sans Terre, en 1204, par Philippe-Auguste, rattacha la Normandie à la France. Les îles anglo-normandes, exclues de la conquêtes, demeuraient britanniques.
Zone de pêche commune aux Français et aux Jersiais, l’archipel était loin de cette agitation, jusque dans les années 1920. Un banquier d’origine granvillaise, Édouard Le Roux, tenta d’y construire un abri de pêche. L’administration française lui délivra une autorisation en bonne et due forme, avant de faire machines arrières : les États de Jersey estimaient que leur souveraineté était violée, et l’incident diplomatique menaçait d’être consommé entre Londres et Paris.
Il n’en fallait pas plus pour raviver l’antique animosité des Bretons et des Cotentinois envers la perfide Albion. À la fin des années 1930, le célèbre peintre Marin-Marie, habitué des îles Chausey voisines, arma une véritable armada afin de faire flotter les couleurs françaises sur les Minquiers en lieu et place de l’Union Jack. Comme à l’époque d’Édouard Le Roux, la presse jersiaise et britannique fit ses choux gras de l’affaire. Prudentes, les autorités françaises désavouèrent les pêcheurs. L’aventure avait fait long feu, et la rumeur de la guerre calma les ardeurs des marins. Elles reprirent de plus belle dès la Libération.
La guerre des cailloux – car c’est bien de rochers dont il s’agit – se solda par une décision de justice. Saisie par Paris et Londres, la Cour internationale de La Haye statua en 1953 sur le différend en se fondant sur d’anciens documents. La cause jersiaise emporta la conviction des juges : il transparaissait bien des traités médiévaux que les îles de la Manche – Minquiers compris – n’avaient jamais été concernése par la conquête de 1204. Surtout, charme des prétoires, les Jersiais subjuguèrent les juges en prouvant l’administration effective des lieux par les États de Jersey. Et pour cause : ces derniers avaient installé, en 1930, un WC sur les Minquiers… Faisant ainsi de la modeste cabane le plus méridional des cabinets anglo-normands. C’est sur ce détail cocasse que se conclut le volet judiciaire de l’incident, devenu affaire d’État.
Une utopie allait pourtant faire revivre l’aventure des Minquiers : celle de la Patagonie. Vivifiée par la plume de Jean Raspail, l’épopée patagonne est avant tout un rêve de grands espaces, un songe d’empire liquide. L’imagination féconde des Patagons allait trouver dans l’archipel un terrain de jeu à leur hauteur. En 1984, alors qu’à l’autre bout du Monde faisait rage la guerre des Malouines (les Falklands étant, faut-il le rappeler, situées au large de la Patagonie argentine ?), Raspail et ses compagnons posèrent le pied aux Minquiers et envoyèrent le pavillon patagon, bleu-blanc-vert, en lieu et place des couleurs britanniques. Par cet bravade, Jean Raspail, consul général de Patagonie, entendait protester contre « l’occupation inacceptable et prolongée des îles Malouines, ex-Falkland, territoire patagon, par la Grande-Bretagne ». Là encore, les tabloïds britanniques, The Sun en tête, s’emparèrent du feuilleton. Fallait-il tant s’émouvoir ? Le romancier avait pourtant rendu les hommages d’usage au pavillon britannique qui, une fois descendu, fut replié avec soin puis remis en main propre par l’écrivain à l’ambassade de Sa Majesté, à Paris.
Depuis lors, les Minquiers sont un rêve de plus pour les Patagons, ces Français assoiffés d’aventure et d’histoires chevaleresques. L’opération fut reconduite en 1998. Enfin, en 2005, un hydravion canari, frappé des couleurs patagonnes, survola l’archipel.
Aujourd’hui, chaque maison de pécheurs des Minquiers dispose d’un Union Jack, prêt à être déplié et à flotter au sommet du mât de la Maîtresse-Île, au cas où.
Les oiseaux de mauvaise augure disent que les frontières sont inutiles. Il n’y a rien de plus faux. Elles aliment nos rêves d’aventures, et nourrissent l’imaginations des quelques hommes désireux de rester libres.

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