L’infolettre du R&N revient bientôt dans vos électroboîtes.
Jamais je n’écrivis votre nom. Quand les nuées couvraient la terre, vous étiez soumise et aimante. Vous parliez la langue de votre Créateur et les hommes vous honoraient vraiment. Vous ne fûtes jamais la divinité des civilisations, bien autrement, vous étiez sa prêtresse au nom de laquelle le sang versé coulait, se mêlant à celui des grands principes pour donner la sève à la terre. Vous n’étiez pas encore la civière de nos braves, mais une bannière plantée sur le front barbare duquel vous triomphiez toujours, enracinant et liant le secours d’Antigone aux exceptionnelles prodigalités des rois augustins, des faveurs du chêne, des mansuétudes des souverains absolus. Optimates au front haut et à gorge déployée, vous combattiez dans les sentiers avec vos gens. Vous aviez conscience : « Je suis un moyen accordé aux hommes, subordonné à la vérité, en aucun cas leur finalité. Si tel devait être, je disparaîtrais et laisserais l’ombre de mon passage chez un peuple hanté par mon spectre mais rendu à l’esclavage auquel il appartenait dans le chaos des origines. Ne me voulez pas davantage mais aimez-moi telle que je suis. Modérée, lente, difficile. À la manière des arbres et de tout ce qui est caché dans la nature. » Vous fûtes la gloire des pauvres par laquelle se dessina au fil des jours un art de vivre et un sens de la cité. Un joyeux entrelacs de mots tus mais sus de tous. Puis les hommes qui n’écoutent plus se sont saisis de vous et ont déchiré vos corsages dont ils ont fait des chaînes. Vos volants furent utiles pour déchaîner le feu du ciel en votre honneur, et vos bas pour y enfoncer des têtes. Ils ont gâté les étoffes pour y écrire des mots trop nombreux qu’ils lisent encore dans les palais. Jamais l’on ne vous a tant évoquée au détour d’un libelle exaltant, et pourtant personne ne vous connaît plus. On vous consacre dans des tours faites de métaux, mais dans les sérails de la pensée devenus bouges et bordels, vous vous êtes éloignée de vos peuples.
Huysmans dit : je vadrouille à travers les jours comme une putain sans trottoir. Heureux homme. Les trottoirs s’étendent ici à perte de vue. Ils trouvent de nombreux prestataires et chacun forme un chemin vers un peu plus de déchéance d’une condition humaine plus captive à mesure qu’elle se croit libre. Sonne la fin de la journée de travail, vient un rituel déguisé en répit. Les hommes confluent ensemble vers ces temples parés de grandes robes étoilées de couleurs à provoquer la cécité, cerclés de béton et de lignes blanches tracées pour seuls chemins. Les carcasses des autos standardisées aux lignes ingrates s’entassent sur plusieurs étages baignés de néons et d’urine. L’écho n’est pas celui des cathédrales solennelles mais des halls d’organismes de crédit. Crédit des âmes. Les mines dénotent d’un abandon total de volonté propre, d’une adaptation au climat, d’une habitude qui crève l’esprit. Le tumulte et l’agitation s’entrechoquent dans le pratique et l’utile. L’instantanéité rébarbative, la systématisation à grands renforts de bips sonores. Les chariotes sont pleines de cochonneries en tenues d’apparat médaillées de vertus. L’espace est vaste et pourtant l’oppression des lieux est patente. On y transpire pour des promotions, petits pains plastifiés, boites de conserves, viande sous vide, vêtements en polyamide, vins de fonds de cuves. Ailleurs, à la classe, j’entendais vos murmures. Vous me commandiez de refuser les prêches de ceux qui devaient nous enseigner vos voies. Chaque fois l’anathème est lancé ; pourvu que tout ne fût que des mots, jamais des tentatives.
C’est la rue le cœur de votre abdication. Entre deux vrombissements et pots d’échappement se dessinent les publicités aux chiffres jamais ronds et aux silhouettes racoleuses. Les échoppes défilent et se donnent de plastique et polyester, se chevauchant pour accoucher d’un règne immonde. Les ondes sont pleines d’animations pour gens tristes et les écrans sont les tabernacles d’une nouvelle religion. Les fidèles tressaillent un peu à l’heure des drames, mais oublient rapidement puisqu’ils n’ont rien. Et d’une toge blanche, vous revêtez un survêtement de jeune andouille, d’une pauvresse. Vous sommez aux traditions de se rendre quand hier vous étiez leur amie dévouée et vous sarclez tout un héritage. Vous avez suivi l’homme à travers le fracas des passions et parce qu’il abusa de vous, sibylline, vous lui rendez dûment. Vous vous êtes toujours confondue avec la grandeur de l’État, rechignant toujours aux cachets marquant les lettres des oubliettes. Vous l’avez édifié pour garantir la paix et la sécurité des justes face à quiconque ne se trouva pas assez grand pour lui concéder son amitié. Magnanime, vous fîtes dire aux rois que pouvoir tout, c’était surtout le bien. Vous étiez le propre des grandes maisons que comptaient la terre et les légendes des civilisations perdues avant leur naufrage. Nous n’avons pas été dignes, vous avez fait litière de vos lettres de noblesse gravées sur le fronton de l’Évangile : la vérité vous rend à nous, mais ne sachant plus qui elle est, nous n’avons plus écrit votre nom.
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