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En ce pesant été, passant, si ta course t’amène sur les bords de la mer bleue, sur ces côtes pierreuses où les saintes Maries ont échoué leur barque, fais donc un détour par Six-Fours Les Plages. Là, tu y verras le célèbre fort de la ville, juché sur sa colline aux pins, bâti sur les restes arasés du vieux village, avec en contrebas une petite église, la collégiale Saint-Pierre. C’est le dernier édifice debout de l’ancienne commune qui s’est dispersée sur la plaine de Reynier lors de la construction de la forteresse, paisible pasteur paissant ses troupeaux de maisons, depuis près d’un millénaire.
La Collégiale, depuis le flanc nord-est de la colline (on aperçoit l’extrémité nord-est du Fort avec ses deux arches)
C’est en effet au Xe siècle que Six-Fours fut fondée, sur le site d’un ancien comptoir phocéen fortifié, retranchée sur sa butte pour résister aux invasions maures. Des fouilles, lancées par François Jouglas, de l’Académie du Var, ont révélé, au milieu des années 1960, que déjà, « en 963, il existait un castrum appartenant à l’abbaye [bénédictine] de Montmajour » (près d’Arles).
Celle-ci appartenait directement au comte de Provence, seigneur de la ville, qui, en 1073, légua ses biens aux moines de l’abbaye de Saint-Victor de Marseille (dont Six-Fours compte encore aujourd’hui une dépendance en la chapelle Notre-Dame de Pépiole, fondée au Ve siècle !). Ils sauront faire fleurir le patrimoine religieux de la colline, avec l’érection des chapelles Saint-Elme (il subsiste la façade sud le long de la route qui gravit l’éminence de la restauration de 1566) et Saint-Roch (détruite), et la construction de la collégiale (l’église romane, attestée dans le cartulaire de Saint-Victor sous le nom de Saint-Pierre-ès-liens) sur le site d’une ancienne chapelle du Ve-VIe siècle, en granit gris-bleu d’Evenos (site remarquable pour ses plutons magmatiques) ; à quoi il faut ajouter celle de la chapelle Notre-Dame de la Courtine (disparue) en 1144, par le seigneur excommunié, en signe d’expiation.
La première collégiale, en date du XIe siècle donc, comporte une alvéole au nord, une petite chapelle dédiée à sainte Marie-Madeleine, Apôtre de la Provence (ses restes sont conservées en la basilique de Saint-Maximin), et abrite des reliques de sainte Philomène dans un coffret de chasse dorée. La sainte était en effet honorée d’un sanctuaire à l’ouest dont ne subsiste plus que le baptistère (Ve-VIe siècle), ce qui témoigne de l’effervescence cultuelle du lieu.
Première église romane
Chapelle Sainte-Philomène
Reliques de sainte Philomène
L’église est ensuite agrandie d’une seconde nef gothique, de direction Nord-Sud. Celle-ci se voit dotée d’un magnifique triptyque, réalisé entre 1490 et 1520, figurant les saints Clair, Bernard et Theophila ainsi qu’un superbe polyptyque du peintre niçois Louis Brea (1450-1523), datant de 1520 – et classé monument historique en 1898 –, figurant la Crucifixion et les saints protecteurs de Six-Fours, à savoir Martin, Victor, Sébastien, Marguerite (rang supérieur), Jean-Baptiste, Pierre, la Vierge Marie, Honorat (fondateur de l’abbaye de Lérins, dont les moines ont fondé Saint-Victor de Marseille ; rappelons que sa palme est l’emblème de Cannes), et Benoît ; ainsi que d’un triptyque.
Triptyque de la chapelle Saint-Clair (façade est)
Polyptyque de Ludovico Brea (circa 1520)
Cette seconde nef, déjà très riche à la Renaissance (Horace Vernet dira de cette seconde œuvre qu’elle est « l’une des manifestations les plus hautes de l’art de la Renaissance »), est agrandie en 1608, et rapidement ornée de nombreux retables en bois sculpté et tableaux de style baroque, sur le maître-autel (Vernet comparera le peintre à Ingres) et dans chacune des chapelles attenantes. Dans celle de la Vierge ou des Carmes, on peut même admirer encore aujourd’hui la statue en marbre blanc de la Vierge de l’Assomption, œuvre de Pierre Puget – ou de l’un de ses élèves –, et remarquable par la perfection des plis de la robe et la dynamique générale, notamment le geste des mains (classée monument historique en 1911).
Le dernier ajout à la collégiale, retiré par la récente restauration, sont les vitraux, posés en 1861 et œuvre de Laurent Maréchal, aujourd’hui remplacés par une verrerie polychrome à la limite du psychédélique, certes, mais dont les couleurs se marient bien avec le paysage provençal.
La Remise des Clefs à Saint-Pierre par Guillaume Greve (1622)
Les âmes du Purgatoire, par Greve (1628)
Vierge de l’Assomption par Féraud (1840, copie de B. Murillo)
La Sainte Famille (XVIIe)
Saint Augustin, saint Antoine et sainte Thècle (XVIIe)
L’Apothéose de Sainte-Cécile
Anciens vitraux de la Collégiale
L’on notera que ce dernier tableau est la signature de la famille six-fournaise des Lombard, seigneurs de Sainte-Cécile (domaine arlésien érigé en 1593 par Henri IV), qui ont joué un rôle actif dans l’embellissement de la Collégiale au XVIIe siècle.
Et saint Pierre dans tout cela ? Sa présence semble se limiter aux clefs apposées sur les retables et la rambarde du sanctuaire, et à la statue en bois polychrome qui accompagne chaque année la procession de la fête votive de la Saint-Pierre, le premier dimanche d’août, portée à dos d’hommes.
Et pourtant un bien incomparablement plus précieux est gardé par la collégiale : une réplique des Clefs, sous verre, dans une alcôve clôturée par une porte en fonte, à gauche du portail gothique. Le terme plus exact serait une réplique de la réplique, car « l’originale » a été dérobée à la Révolution. Qu’avait-elle de particulier ? Elle contenait de la limaille des chaînes des Vraies Clefs, transmises par Notre-Seigneur au Prince des Apôtres (Mt., 16, 19). Elles étaient présentées aux malades d’esprit ainsi qu’à ceux mordus par des animaux venimeux. C’est en 1635 que le curé de l’église, l’abbé Jacques Lombard, décida d’aller à Rome et d’obtenir du Pape Urbain VIII que lui soit concédé le pouvoir des clefs, symbole des pouvoirs spirituel et temporel de l’Église. Ce privilège accordé à perpétuité par bulle pontificale fit l’objet d’un enregistrement au greffe du Parlement de Provence. On se rendait ainsi de toute la région pour recevoir l’imposition des clefs sur le vieil autel, surtout à partir de 1655, date à laquelle une femme d’Ollioules obtint la guérison de son enfant, mordu par un chien enragé, miracle officiellement reconnu par Rome (ses descendants assistent chaque année à la fête votive).
Réplique des Clefs dérobées à la Révolution
Les nouvelles clefs, parfaitement ressemblantes, ont été reforgées par l’ouvrier Mathieu Devienne dans l’atelier Proferro à Marseille, et ont reçu la bénédiction de Jean-Paul II lui-même, le 12 janvier 2005, à la Basilique Saint-Pierre de Rome, en présence du curé, le Père Terrade, de l’évêque de Fréjus-Toulon, Mgr D. Rey, du maire, M. Vialatte, et du président de l’Association de la Collégiale, M. Iannessi.
C’est sur cette éminence, jadis gravie par le lieutenant Bonaparte lors du siège de Toulon, puis par George Sand, qui du haut de la colline avait comparé les paysages du pays toulonnais aux toiles de De Vinci, que le Bienheureux Apôtre semble avoir trouvé une assise aussi ferme que le roc apostolique, car, logée sur son promontoire aux roches ensoleillées, la Collégiale se dresse depuis plus d’un millénaire, dernier vestige d’un village éclaté, dont les semailles ont germé partout sur la plaine en contrebas, ancienne pierre d’angle devenue le socle de l’histoire de Six-Fours.
Un tour en photos pour vous encourager, lecteurs, à visiter ce témoin d’une ville disparue :
La Croix du chemin de la Collégiale, surplombant la rade de Toulon
Les vestiges de la chapelle Saint-Elme, au pied du Fort de Six-Fours, surplombant la ville
Le parvis de la Collégiale, sous les frondaisons d’un micocoulier (un « arbre de la Liberté », planté en 1796)
La façade nord, depuis le vieux cimetière de la ville
Le vieux cimetière de Six-Fours (déclassé)
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