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La beauté du lien conjugal dans la pensée Classique [Partie I]

18 février 2014 Contributeurs extérieurs

Voici le premier d’une contemplative d’Ambroise Savatier consacrée à la beauté du lien conjugal chez les Classiques

« Le mariage est la société de l’homme et de la femme, qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider par des secours mutuels à porter le poids de la vie, et pour partager leur commune destinée ».
Telle est la définition que le jurisconsulte Portalis donne de l’union conjugale en 1792.

Avant quelques siècles, le mariage n’a jamais pu se concevoir sans une certaine transcendance. L’homme et la femme s’intègrent ensemble dans une expression quasi-sensible du droit, conforme à l’ordre naturel des choses. A compter du XIVe siècle, par un basculement de la métaphysique du droit, le mariage n’est plus un rapport mais une capacité. La mesure du lien conjugal devient progressivement la volonté autonome des individus. Le subjectivisme dans lequel le mariage semble aujourd’hui cloisonné est tel, que l’on se demande s’il n’a jamais porté une réalité en soi.

Comment le lien conjugal a-t-il pu basculer d’un rapport comme reflet d’une nature belle et ordonnée, à une capacité entre individus déduite de la volonté autonome ?

Dans un premier temps nous verrons comment les Anciens ont su élaborer une doctrine Classique du lien conjugal (I), pour ensuite nous attacher à comprendre comment la métaphysique du droit a basculé dans l’ivresse des passions subjectives, au point d’en égarer le vrai sens du mariage (II). 


I. Dans la pensée Classique : 
Le mariage comme achèvement de la nature

Quelle est cette pensée Classique ? Chronologiquement elle tire ses racines dans l’antiquité grecque, et s’étend à peu près jusqu’au XVIe siècle de l’ère chrétienne. Cette pensée est à la base des trois piliers de l’Europe que sont la démocratie grecque, le droit romain et la religion chrétienne. Il faut se dire qu’avant le XVIe siècle, une seule et même vision du monde détermine aussi bien la pensée d’un rhéteur grec au IVe siècle av JC, qu’elle forme l’esprit d’un sénateur romain sous Jules César, qu’elle dirige les réflexions d’un moine dominicain du XIIIe siècle.
Pour les Classiques, l’homme est un animal social, il ressent de l’affinité pour ses semblables. Les rapports sont déterminés par la nature, qui lui inspire un sentiment immédiat du bien, de l’amitié, du Beau. Le monde est un cosmos ordonné, où chaque chose est à sa place, et où il y a une place pour chaque chose. L’homme est plus créature que créateur. Il s’inscrit dans un ordre qui le précède. Il s’agit d’une vision aristocratique. L’individu n’a pas à essayer de façonner le monde qui l’entoure, mais le devoir de transmettre ce qu’il a reçu envers sa lignée, sa patrie.
Le droit chez les Classiques n’est pas à chercher dans la volonté individuelle mais dans la nature des choses extérieures. Pour Michel Villey, le juriste recherche entre ces choses « Le rapport le mieux ordonné où l’on reconnaît la valeur de l’ordre dans lequel elles se trouvent disposées  ». Il existe une hiérarchie des êtres qui est le reflet d’une hiérarchie de valeurs. L’art de faire le droit consiste à assurer à chacun ce qui lui revient, tout est question d’harmonie.

Les Classiques conçoivent toutes choses en terme de finalité. La nature est suffisamment achevée pour que l’homme ne s’y perde pas, et suffisamment commencée pour qu’il ne s’y ennuie pas. 
L’être humain ne se réalise pleinement qu’en se faisant l’auxiliaire des fins qui sont naturellement inscrites dans les rapports. On ne s’arrête pas à l’être-immédiat d’une chose, celle-ci doit toujours tendre vers un au-delà d’elle-même.
En l’espèce la beauté d’un rapport comme le mariage est à la fois d’être 
 :

•Conforme à la nature de l’homme. 

•Mais aussi de tendre vers une perfection de lui-même.

C’est par cet achèvement que le rapport devient parfait.

Le mariage, reflet d’une nature ordonnée chez les grecs

Dans la cité grecque, le mariage trouve sa légitimité dans l’inclination naturelle des êtres vivants pour le sexe opposé. La femme est le complément de l’homme, comme l’homme est le complément de la femme. Pour Aristote, le désir d’enfantement est conforme à la nature. Dans Des parties des animaux, il énonce qu’il est nécessaire que la femme et l’homme s’unissent car ils «  ne peuvent exister l’un sans l’autre  ». Les animaux sont guidés par leur instinct, la nature encadre leur union. Les êtres humains entretiennent quant à eux des relations subtiles, il appartient au législateur de dessiner les contours juridiques de cette inclination naturelle, en instituant le mariage. Au fond qu’est-ce que la culture sinon le raffinement de la nature ?
Platon pense que le mariage est pour l’homme le moyen de laisser une trace de soi en ce monde, sa descendance permet de toucher l’éternel. (Le banquet).
Dans l’Éthique à Nicomaque, Aristote parle du mariage comme de la réalisation d’une constante harmonie dans le couple, lequel doit vivre aristocratiquement. C’est à dire que les tâches conjugales sont justement réparties selon les talents de chacun. « Dans l’espèce humaine, la cohabitation de l’homme et de la femme n’a pas seulement pour objet la reproduction, mais s’étend à tous les besoins de la vie : car la division des tâches entre l’homme et la femme a lieu dès l’origine, et leurs fonctions ne sont pas les mêmes, ainsi ils se portent une aide mutuelle, mettant leur capacité propre au service de l’œuvre commune ». Une telle union est couronnée par l’amitié et le plaisir que trouvent la femme et l’homme à demeurer ensemble « L’utilité et l’agrément semblent se rencontrer à la fois dans l’amour conjugal ».
La littérature grecque témoigne de la noblesse du lien conjugal. Le Livre d’Homère idéalise la fidélité entre époux, quand Pénélope esseulée et comblée de prétendants, veut malgré tout garder sa fidélité pour Ulysse.

Le mariage romain, institution entre droit humain et droit divin.

Les romains ont vaincu militairement la Grèce (146 av JC), mais philosophiquement c’est la Grèce qui les conquiert. Les juristes de Rome récupérèrent l’héritage aristotélicien. L’épistémologie est celle d’une observation des rapports entre les êtres humains en vue de découvrir, parmi ces rapports, lesquels s’approcheraient le plus d’une certaine perfection. Ulpien dira « de là descend la conjonction du mâle et de la femelle, que nous appelons mariage ». Ce dernier se méfie de l’union patrimoniale, en effet les donations entre époux sont progressivement proscrites sous peine de nullité. Il craignait ainsi que les époux ne négligeassent l’éducation de leurs enfants au profit d’une association lucrative. La doctrine romaine parle effectivement de beauté morale dans l’instauration d’une société conjugale.
L’objet du mariage est limpide dans les Institutes, il s’agit de « L’union – notamment sexuelle – de l’homme et de la femme, unissant indivisiblement entre eux l’usage de la vie  ».
Le Digeste romain dispose pour sa part que « Les noces sont l’union d’un homme et d’une femme établissant une communauté de toute la vie : une société de droit divin et humain ».

Ambroise Savatier

Très prochainement, vous pourrez lire dans nos colonnes la fin de ce premier volet : Ambroise Savatier y traitera de La sublime dignité du mariage chez les Chrétiens : 
Expression sensible de l’étreinte du Christ avec l’Humanité.
Puis, vous découvrir le second volet de cette contemplative avec la partie II : À l’époque Moderne : 
Le mariage dévoyé par la subjectivité des hommes

18 février 2014 Contributeurs extérieurs

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