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« Il chanta lui-même :
Celui qui habite dans l’asile du Très-Haut
Demeurera sous la garde intime du roi du Ciel
Et son cœur enfantin fondait d’amour et de confiance pour ce roi céleste auquel il se vouait ».
L’enfant auquel Colette Yver fait référence a certainement tenu pour naturelle la monarchie en son pays. Il ne put toutefois méconnaître d’autres formes de gouvernement à une époque où la redécouverte du droit romain et d’Aristote occupait les légistes. Mais la royauté emporta d’autant plus l’ardeur du jeune écolier que psalmodiée, elle résonna en un cœur déjà très chrétien comme une poésie.
Cependant pour un écolier non averti, la monarchie c’est d’abord la tyrannie. Comment ne pas mettre en garde nos petites têtes blondes contre l’absolutisme du Roi Soleil ? Pourquoi ne pas les avertir de la bêtise et de l’hypocrisie de la Cour ? De quoi faire pâlir nos Marcheurs en herbe, et les prévenir à jamais de ces maux - à n’en pas douter – d’un autre âge. Alors, lion et rat, singe, ours et renard, ou cerf sont convoqués pour expliquer :
« Amusez les Rois par des songes,
Flattez-les, payez-les d’agréables mensonges,
Quelque indignation dont leur cœur soit rempli,
Ils goberont l’appât, vous serez leur ami ». [1]
Mais si Jean de La Fontaine dut user de la fable pour déjouer la censure d’un pouvoir dont il dénonçait les excès, il ne se garda pas non plus de rappeler à ses contemporains que :
« Que votre premier roi fut débonnaire et doux
De celui-ci contentez-vous,
De peur d’en rencontrer un pire » [2].
Toutefois, se plongeant plus attentivement dans ses livres d’histoire, notre écolier pourrait découvrir qu’avant d’être le lieu de critiques envers le monarque, la poésie fut d’abord l’occasion de son éducation. Albéric de Briançon s’y emploie par exemple dans Quand le Roi Alexandre fut né, après avoir fait l’éloge de la naissance du roi. Ronsard, le prince des poètes et poète des princes, souffle quant à lui à Charles IX :
« SIRE, ce n’est pas tout que d’estre Roy
de France,
Il faut que la vertu honore vostre enfance :
Car un Roy sans vertu porte le sceptre
en vain, » [3].
Tout au long de cette Institution, le poète liste les qualités attendues d’un monarque, l’exhorte à agir en chrétien, l’invite à protéger son peuple, le met en garde contre des ardeurs volontiers belliqueuses. L’appel à la prudence est souvent renouvelé auprès du roi, et d’autres s’en feront également les porte-voix, à l’instar de Nicolas Boileau :
« Mais, quelques vains lauriers que promette la guerre,
On peut être héros sans ravager la terre » [4].
Mais s’il est une recommandation au-dessus de toutes, qui constitue d’ailleurs la conclusion du discours de Ronsard, c’est bien celle de s’en remettre à son Créateur. L’écolier pourra alors s’étonner qu’il fut des temps où la foi en un Dieu et le respect de lois fondamentales constituaient le meilleur frein au pouvoir royal, et prévenait mieux que tout 49-3 des velléités démesurées. Notre écolier pâlira encore : des hommes ont jadis accepté de se soumettre à une loi dont la volonté d’aucun d’eux n’était à l’origine.
Poursuivant sa quête, l’écolier se surprendrait peut-être à admirer la France - l’enluminure passée sous silence - des temps obscurs. Mais pour ce faire, un maître d’une autre trempe est nécessaire : un hussard qui pourrait chuchotait au bon vouloir de notre écolier : « Tu dois aimer la France, parce que la Nature l’a faite belle, et parce que l’Histoire l’a faite grande. » [5]
Au détour d’une ode ou d’un sonnet, de Malherbe ou de Du Bellay, l’écolier pourrait revivre batailles et campagnes royales. Si le poète modère parfois les intentions belliqueuses du roi, il n’hésite toutefois pas à vanter ses exploits guerriers. François de Malherbe chante ainsi les succès des campagnes d’Henri IV, quand Du Bellay convoque d’antiques références – une constante des poètes s’adressant au roi – pour exhorter le roi à consacrer son règne à la grandeur de la France :
« Que vous puissent les dieux un jour donner tant d’heur,
De rebâtir en France une telle grandeur » [6].
Toutefois l’écolier ne devra s’étonner devant ce ballet de louanges qui constitue aussi le lot de tout artiste devant gagner son pain. Le poète comme le musicien, ne peut faire l’économie des bonnes grâces du monarque. François de Malherbe n’hésite pas à vanter les succès d’Henri de Navarre contre les armées royales [7]. Il en sera remercié, Henri de Navarre devenu Henri IV, le nomma proche conseiller. Jean de La Fontaine évoque dans ses fables la Cour qu’il peinera toute sa vie à approcher. Pierre Corneille, dont « rien n’était égal à son incapacité pour les affaires, que son aversion » [8], adresse ses vifs remerciements [9] à Louis XIV qui fait représenter ses pièces à Versailles alors que le succès déjà s’éclipse.
Si la poésie a sublimé la monarchie, il n’en reste que l’ultime royauté invoquée par le poète est celle du Christ : « Des Dieux le plus incontestable » [10]. Notre écolier, frissonnant encore de ses récentes découvertes, s’en convaincra en lisant les vers de celle qui « fit sacrer le roi » et pâlir « Nos plus grands conquérants », de celle qui convoqua devant l’autel de l’Histoire la poésie et la monarchie, en énonçant lors de son procès [11] :
« Puis vint cette voix,
Environ l’heure de midi,
Au temps de l’été,
Dans le jardin de mon père ».
Alors notre écolier, comprenant que saints et rois devant Dieu fléchissaient, criera les mots de Péguy, à une époque orgueilleuse qui sous couvert de démocratie, s’est imposée de choisir entre Jupiter ou Candaule :
« Un homme de chez nous a fait ici jaillir,
Depuis le ras du sol jusqu’au pied de la croix,
Plus haut que tous les saints, plus haut que tous les rois,
La flèche irréprochable et qui ne peut faillir » [12].
Alors notre écolier, décidé à juger la monarchie à l’aune de la poésie, ouvrant l’ouvrage de Colette Yver sur les conseils d’un sage parent, apprendra de Saint Louis :
« Il chanta lui-même :
Celui qui habite dans l’asile du Très-Haut
Demeurera sous la garde intime du roi du Ciel
Et son cœur enfantin fondait d’amour et de confiance pour ce roi céleste auquel il se vouait comme roi de France, faisant pacte avec lui pour bien gouverner un jour son peuple déjà chéri » [13].
[1] Jean de La Fontaine, Les Fables, « Les obsèques de la Lionne ».
[2] Jean de La Fontaine, Les Fables, « Les Grenouilles qui demandent un roi ».
[3] Pierre de Ronsard, Institution pour l’adolescence du roy treschrestien Charles neufviesme de ce nom, 1562.
[4] Nicolas Boileau, Épîtres, « Au Roi ».
[5] Ernest Lavisse, Histoire de France. Cours moyen, Ed. Colin Armand, Paris, 1923, 272 p.
[6] Joachim Du Bellay, « Au Roi ».
[7] François de Malherbe, « Au Roi Henri le Grand », 1596.
[8] Fontenelle, Vie de M. Corneille, 1742.
[9] Pierre Corneille, Au Roi, sur Cinna, Pompée, Horace, Sertorius, Œdipe, Rodogune, qu’il a fait représenter de suite devant lui à Versailles, en octobre 1676.
[10] Charles Baudelaire, Les fleurs du mal, « L’examen de minuit ».
[11] Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, « A Jeanne d’Arc ».
[12] Charles Péguy, La Tapisserie de Notre-Dame, « Présentation de la Beauce à Notre-Dame de Chartres », 1913.
[13] Colette Yver, Saint Louis Roi de France, Ed. Spes, Paris, 1944, 269 p.
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