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R&N : Charles Beigbeder, vous signiez il y a quelques jours une tribune dans les colonnes du site Atlantico appelant à davantage de raison dans les solutions politiques à l’afflux migratoire auquel l’Europe fait face. L’accueil des migrants, tel qu’envisagé par l’Allemagne (un million d’individus) et la France, est donc une option déraisonnable ?
Charles Beigbeder : L’attitude des responsables politiques français comme allemands ne me paraît pas à la hauteur de la situation. Elle est guidée par l’émotion et non par la raison. Elle se targue d’être généreuse et humanitaire mais présente des conséquences dévastatrices à long terme pour les pays d’accueil comme pour ceux d’origine. Affirmer que l’on pourrait accueillir un million de réfugiés, comme l’a prétendu l’Allemagne, suscite mécaniquement un appel d’air chez les populations restées au pays. Comment, en effet, ne pas se décider au départ quand on voit des migrants débarquer par milliers à Munich puis être applaudis par des Allemands éternellement pénitents en raison de leur histoire ? Demain, ce seront des centaines de milliers de migrants qui déferleront sur l’Europe, en quête d’un impossible eldorado, ce seront des services publics dépassés, des tensions communautaires exacerbées et un Moyen-Orient qu’on aura contribué à vider petit à petit de ses élites et de ses minorités ethnico-religieuses, bref, de son âme, comme le souhaitent les djihadistes. Le véritable humanisme n’est pas dans un traitement émotionnel des migrations qui ne s’attache qu’aux conséquences de celles-ci sans remonter à la racine des problèmes. Il consiste avant tout à faire en sorte que ces populations puissent vivre en paix chez eux et n’éprouvent plus le besoin de migrer en Europe.
R&N : Dans cette tribune, vous accusez l’État de manquer de discernement dans sa recherche de bien commun, et de ne pas se projeter suffisamment dans l’avenir. Quelles solutions concrètes la politique peut-elle apporter à cette immigration clandestine massive, en ménageant à la fois le respect dû aux immigrés clandestins et la sauvegarde de l’identité et de la cohésion nationales ?
Charles Beigbeder : D’abord, il faut bien entendu traiter dignement les migrants qui ont franchi les frontières de l’espace Schengen et attendent chez nous l’instruction de leur demande d’Asile. C’est un devoir d’humanité ! C’est aussi le sens de l’appel lancé par le pape François afin que chaque paroisse puisse accueillir une famille. Là-dessus, il n’y a aucun doute, toute personne doit être nourrie, soignée et hébergée, le temps que sa demande d’asile soit instruite. Mais il faut surtout éviter qu’un tel phénomène prenne de l’ampleur ! Or, c’est malheureusement ce qui risque de se produire si l’Europe donne l’impression qu’elle peut accueillir, sans limites, les flots de migrants qui se déversent sur son continent, d’autant que beaucoup d’entre eux, qui fuient la guerre et la misère économique, n’obtiendront pas le statut de réfugié politique réservé à ceux qui sont persécutés en raison de leurs origines ou de leurs convictions. Or, il faut savoir que parmi ces déboutés du droit d’asile, seuls 1% font l’objet d’une réelle reconduite à la frontière, faute de budget et de volonté politique. Il est donc indispensable de les empêcher d’arriver en Europe puisque beaucoup n’ont pas vocation à y rester et deviendront, une fois déboutées de leur demande, des clandestins. C’est pourquoi je propose l’installation de centres d’instruction des demandes d’Asile hors des frontières de l’espace Schengen, afin d’opérer un premier filtre entre migrants. Ce pourrait être en Turquie, au Liban ou en Jordanie, où les camps de réfugiés sont nombreux et où la France pourrait y déployer des agents de l’OFPRA afin d’instruire les premières demandes et rejeter celles qui ne présentent manifestement aucun lien avec le droit d’asile.
Par ailleurs, en terme de communication publique, il faut adresser un signal fort aux migrants potentiels ainsi qu’aux passeurs pour leur signifier que l’Europe n’est pas une passoire et n’a ni l’ambition ni les moyens d’accueillir ceux qui fuient la misère, à l’image du message adressé par l’ex-premier ministre australien Tony Abbott. Notre hospitalité se limite au droit d’asile, elle ne peut être ouverte à tous.
En parallèle, il faut engager une lutte sans merci contre les réseaux de passeurs qui s’enrichissent sur la misère humaine. Cela exige un renforcement de la mission navale européenne de lutte contre le trafic de migrants en Méditerranée, qui, en l’absence de résolution du Conseil de sécurité de l’ONU, ne peut arraisonner les embarcations de migrants dans les eaux territoriales libyennes.
Enfin, il serait normal de demander aux Etats de la péninsule arabique, économiquement prospères et culturellement proches du Moyen-Orient, de prendre leur part au fardeau et d’accueillir des migrants à titre temporaire.
Pour sa part, l’Europe doit retrouver la maîtrise des frontières extérieures de l’espace Schengen pour lutter contre l’immigration clandestine et mettre un terme à l’actuelle cacophonie. En l’absence d’accord sur une politique commune d’accueil des migrants, - comme c’est le cas aujourd’hui -, chaque pays devrait être fondé, sans risque de pénalités financières, à rétablir temporairement ses frontières intérieures, en vertu de l’article 2.2 de la Convention de Schengen complété par l’article 26 du règlement communautaire du 22 octobre 2013.
R&N : Au-delà des réponses concernant le seul problème des « migrants », la solution réside certainement dans l’éradication de l’État islamique et du Front Al-Nosra. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, annonce de prochaines frappes aériennes ciblées. Que vous inspire cette déclaration ?
Charles Beigbeder : Les frappes aériennes sont insignifiantes au regard des objectifs. On ne pourra venir à bout de Daech sans mettre en place une coalition au sol qui éradique ces terroristes qui incarnent l’horreur absolu. Mais, il ne faudrait pas recommencer l’erreur des Américains en 2003 en y envoyant des troupes occidentales, car les djihadistes n’attendent que cela pour souder contre l’Occident des populations arabes animées d’un fort sentiment national et lancer une guerre de civilisation. Il ne faudrait pas, non plus, modifier l’équilibre Chiites / Sunnites dans la région, comme cela a été fait en 2003. Toute opération au sol contre Daech nécessite donc la mise en place d’une coalition dirigée par des Etats arabes sunnites modérés (Egypte, Jordanie, Emirats arabes unis) et appuyée au plan logistique et aérien par l’Occident et la Russie, à la suite d’un vote au Conseil de sécurité de l’ONU. Enfin, il faudrait parvenir à une coordination totale de notre stratégie avec la Russie, en lui laissant l’initiative, par une diplomatie parallèle, de renforcer les régimes chiites ou alaouites qui sont traditionnellement ses alliés dans la région et qui luttent contre Daech : l’Iran à l’Est, et la Syrie de Bachar-ad-Assad, à l’Ouest. La Russie entend tirer parti de la confusion occidentale pour jouer un rôle clé dans l’issue du conflit ; elle ne peut être tenue en marge d’une stratégie globale de lutte contre Daech.
R&N : Les gouvernants semblent décidés à ne rien mener aux côtés du président syrien, Bachar El-Assad, considéré par Manuel Valls comme « un boucher ». Pensez-vous que l’engagement militaire français sur place doive s’accompagner d’une coopération assumée avec le régime syrien ?
Charles Beigbeder : Comment peut-on effectuer des frappes aériennes dans un pays sans coopérer avec son gouvernement ? Il est évident qu’une coopération minimale est indispensable, ne serait-ce que pour éviter que les avions français soient victimes de la défense anti-aérienne syrienne. Au-delà de cet aspect technique, la France doit admettre qu’elle s’est trompée de stratégie dès 2011, en pariant sur un effondrement rapide du régime de Bachar-al-Assad et sur une rébellion démocratique. La France a commis l’imprudence criminelle d’armer, dès 2012 et malgré l’embargo européen, des rebelles syriens qui sont progressivement tombés dans l’escarcelle d’Al-Nosra, la branche syrienne d’Al-Qaïda, soutenue par l’Arabie saoudite - alliée de la France -, qui lutte contre le régime de Bachar-al-Assad. Or, en faisant du dictateur alaouite l’ennemi prioritaire, la France a renforcé les djihadistes de la région, qu’il s’agisse de Daech ou d’Al-Qaïda. En 1941, les Etats-Unis ont su prioriser leurs adversaires et faire passer leur aversion pour l’Union soviétique après la lutte contre l’Allemagne nazie, qui devait polariser tous leurs efforts. La France n’est visiblement pas capable d’une telle stratégie.
R&N : Le chaos dans cette région du monde, « l’Orient compliqué », est le fruit de multiples facteurs. Parmi ceux-ci, la responsabilité des gouvernants français (Sarkozy par son action dévastatrice en Libye ; Hollande et Fabius par leur hostilité envers Assad) est patente. Pensez-vous que certains de nos hommes politiques aient tiré la leçon de toutes ces erreurs ?
Quand j’entends François Hollande ou Laurent Fabius continuer à considérer Bachar-al-Assad comme un ennemi prioritaire alors qu’il combat Daech, je me dis que la diplomatie française s’enferme dans une ligne suicidaire pour ne pas se départir de sa ligne initiale. De même, je reproche à la droite d’avoir déstabilisé la Libye en 2011 sans percevoir le chaos qui en résulterait, en outrepassant le mandat confié par le Conseil de sécurité de l’ONU. En effet, il n’a jamais été question de renverser le régime de Kadhafi, la résolution 1973 du 17 mars 2011 se bornant à mettre en place une zone d’exclusion aérienne afin de protéger les populations civiles autour de Benghazi. Les Occidentaux ont ainsi perdu la confiance de la Russie et de la Chine, en ne respectant pas eux-mêmes la résolution qu’ils avaient fait voter.
R&N : Ceci nous amène, enfin, aux questions de politique nationale. Ancien secrétaire national de l’UMP, vous êtes désormais indépendant. Il y a quelques mois, vous sembliez avoir « peu d’états d’âme » à soutenir éventuellement le FN. Quel rôle comptez-vous jouer dans la reconstruction d’une droite authentique et enracinée ?
Charles Beigbeder : Je n’ai jamais dit que je soutiendrais le FN, j’ai simplement affirmé que je n’aurais aucun état d’âme à soutenir un parti politique autre que celui dont je suis issu (l’UMP, aujourd’hui Les Républicains), s’il venait à s’inspirer des solutions que je prône pour la reconstruction de notre pays. J’ai ajouté que je souhaitais avant tout rester fidèle à ma famille politique, en essayant de lui faire prendre conscience des graves enjeux auxquels nous sommes confrontés, notamment sur le plan identitaire et migratoire. À ce stade, nous ne connaissons pas encore les programmes présidentiels des différents candidats, donc je ne peux en dire plus. Il va de soi, qu’à l’heure actuelle, un fossé me sépare du FN, notamment concernant les questions économiques.
Ma volonté de prendre part à la reconstruction d’une droite authentique et enracinée prend la forme d’un réseau d’influence appelé l’Avant-Garde, que j’ai co-fondé autour de Charles Millon, Christian Vanneste, Xavier Lemoine et Julie Graziani. Mouvement personnaliste, ordo-libéral, anti-conformiste, enraciné et démocrate, l’Avant-Garde est à la fois un laboratoire d’idées pour renouveler le débat politique à droite et une structure de lobbying en vue des élections présidentielles de 2017. Totalement indépendant des partis politiques, il a vocation à élaborer une plateforme présidentielle qu’il proposera aux différents candidats de la Primaire à droite puis de la Présidentielle, afin de faire adopter des réformes indispensables au redressement de la France et de faire élire les hommes qui pourront les mettre en œuvre.
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