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Réponse à Louis-Marie Lamotte

2 mai 2012 Bougainville

C’est trop d’honneur que de constater la minutieuse analyse de mon propos par d’attentifs défenseurs de la Tradition. Je vais donc m’efforcer de leur répondre, en reprenant certains points qu’ils ont bien voulu mettre en exergue.

Il se trouve que ma route a récemment croisé celle d’un groupe de fidèles de la FSSPX, leur pasteur en tête, et que nous avons discuté d’une nouvelle traduction en cours de la Bible de Jérusalem. Réaction immédiate du prêtre : "Mais... Cela va perturber encore plus les fidèles !"

Loin de moi l’idée d’en faire une généralité, mais j’ai trouvé cette saillie typique d’une certaine "mentalité FSSPX" : ne toucher à rien, de peur de tout bouleverser.

Louis-Marie Lamotte estime que la communion sous les deux espèces n’est pas opportune, et qu’elle suscite au contraire nombre "d’abus et d’irrévérences envers le Précieux Sang de Notre-Seigneur". Cher ami, j’ai exprimé mon point de vue dans mon article : le fait de recevoir le Sang du Christ, est un merveilleux don pour la vie spirituelle de beaucoup. Même si je ne pense pas, du haut de ma modeste place de laïc, qu’il faille l’introduire systématiquement, la communion au Corps et au Sang ne modifie pas l’essence du rite en lui-même. Elle ne trouble que des habitudes et une vision de la liturgie.

"Pathologie"

Au sujet de l’abbé Laurent Touze, qui est également professeur à l’Université Pontificale de la Sainte-Croix à Rome, vous trouverez des comptes-rendus de son intervention sur le blog de Béatrice de La Coste, porte-parole de l’Opus Dei en France (http://porteparoleopusdei.wordpress.com/2012/04/15/vatican-ii-et-les-lefebvristes-un-proche-denouement-attendu/) et sur celui de Philippe Clanché, journaliste religieux à Témoignage chrétien (http://cathoreve.over-blog.com/article-integristes-de-l-art-de-minimiser-la-possible-catastrophe-103348305.html). N’étant pas présent lors de sa conférence de presse, je peux toutefois bien comprendre ce qu’il entend par "pathologie" : ce fondamentalisme des textes du XIXe ou du début du XXe siècle, fossilisés pour cause de refus de Vatican II, et qui rend le débat très difficile entre fidèles de la FSSPX et fidèles catholiques dits "conciliaires".

Harry Potter chez les Témoins de Jéhovah

Harry Potter n’est certainement pas une vérité de foi. Personnellement, je l’ai toujours trouvé insipide à côté des héros de Tolkien. Toutefois, sa mise au pilori par l’abbé Régis de Cacqueray (et par ses imitateurs) est un symptôme : celui de chercher à maintenir un "ordre moral" archaïque sur la société, qui punirait le blasphème et chasserait les hérésies et fantaisies postmodernes. D’où la balourdise de Civitas.

Cet archaïsme se retrouve chez Mgr Bernard Tissier de Mallerais, notamment dans son interview de 2008 à la revue américaine de la FSSPX The Angelus (http://wdtprs.com/blog/2008/07/angelus-interviews-with-sspx-excommd-bishops-part-i-fellay/). Sa nostalgie d’une morale surannée en est un symptôme supplémentaire, plus sympathique au demeurant que ses accusations très graves portées contre le pape et l’Eglise, qui traduisent le fantasme de la citadelle des purs ("où est l’Eglise, mes chers ? Reconnaissez l’arbre à ses fruits. Là où sont les fruits, là est l’Eglise. Je ne veux pas dire que l’Eglise se réduit à la Fraternité, mais que son cœur est dans la Fraternité."), résistant dans la tempête de l’apostasie apocalyptique de l’Eglise du Christ.

S’agissant de l’antijudaïsme "traditionnel", il serait heureux que les intéréssés puissent le définir. La myriade de sites se réclamant de la FSSPX et les convictions de certains fidèles m’intriguent, à titre personnel. Pourquoi cette fascination agressive pour le judaïsme talmudique ? Pourquoi ces longues tirades de l’abbé Julio Meinveille, dont le témoignage qu’il a laissé fut plus idéologique que charitable ? Pourquoi cette obsession du "complot juif", relayée par Mgr Bernard Tissier de Mallerais, qui dénonce dans la même interview : "À Rome, l’apostasie organisée avec la religion juive" ?
Pourquoi ce refus de la repentance de l’Eglise envers les Juifs (http://www.fsspx.org/fr/la-foi-enseignement/combat-trad/judaisme/a_belgique-declaration-du-cardinal-lustiger-devant-le-congres-juif-mondial/), avec cette impression que, pour la FSSPX, l’humanité a rejeté le Christ, mais les Juifs L’ont plus rejeté que les autres ?

Que l’on soit bien d’accord : il faut annoncer Jésus à tout le monde, y compris aux Juifs. Ceux qui ne le font pas n’ont pas lu (ou pas compris) le Concile, ou alors font du sentimentalisme déplacé. Cette évangélisation n’empêche pourtant pas le dialogue interreligieux. Si vous avez une autre conception du rapport au monde tel qui l’est aujourd’hui, c’est un autre sujet, mais ne m’adressez pas un procès d’intention comme quoi je refuserais de partager la Bonne nouvelle à mes frères juifs.

Evangélisation et Règne social

A posteriori, je vois qu’il m’eût fallu mettre des guillemets au mot "Tradition" : car ce n’est que de la FSSPX dont je parlais, et non du saint héritage de l’Eglise. Certes, il y a des conversions, et je m’en réjouis. Je note cependant qu’elles rejoignent un milieu très marqué sociologiquement (en France, en tout cas).

Plus intéréssantes à mes yeux sont les conversions, évoquées par mon confrère Tancrède, de pasteurs luthériens. Je ne connais pas très bien ce qu’il en est réellement en Estonie, où la FSSPX a noué des contacts avec l’Eglise luthérienne locale à partir de 2008, mais pour ce qui est de la Suède, patrie du Révérend Sten Sandmark, promené sur la "tradisphère" comme un trophée, sa conversion à la doctrine de Mgr Lefebvre est un cas très marginal, alors que de nombreux pasteurs et fidèles suédois rejoignent l’Eglise catholique "officielle" (Un exemple parmi d’autres : http://www.dieu-et-moi.com/actualites/367-un-pasteur-lutherien-suedois-se-convertit-au-catholicisme.html). A ce propos, j’émets des doutes sur la méthode de la FSSPX en matière de relations interchrétiennes, qui mêle l’uniatisme du XVIe siècle, qui a creusé un peu plus le fossé avec les orthodoxes, et l’intransigeance de la fin du XIXe siècle. Du reste, comment peut-on encore s’accrocher, à l’instar de feu Mgr Lefebvre, à ce document émanant du Saint Siège, certes, mais quelque peu dépassé depuis 1889 : "Il est interdit de prier, de chanter, de jouer de l’orgue dans un temple hérétique ou schismatique, en s’associant aux fidèles qui y célèbrent leur culte, même si les termes du chant et des prières sont orthodoxes" ?

Je persiste et signe : Civitas fait fuir les incroyants et ravit les antichrétiens. Ils se donnent bon conscience en s’emparant d’un totem, le "Règne social de Notre-Seigneur", revu depuis par le Saint-Père [1], sans songer à l’image désastreuse qu’ils renvoient à la société.

Le Père Alain de La Morandais n’est pas irréprochable. Il est une de ces célébrités qui portent leur tête comme le Saint-Sacrement. L’élément que je pointais était l’opportunité de la mission au sein du monde de la culture (ce que Civitas ne fait pas, préférant s’y opposer avec croix et bannières), et en y mettant la forme. Il ne s’agit bien sûr pas de se plier à la doxa contemporaine, mais de prendre acte du contexte, des personnes, de leur sensibilité, pour mieux annoncer Jésus. De fait, l’abbé de La Morandais a accès à des individus très éloignés de l’Eglise, et en attire à lui beaucoup d’autres. Un cas à méditer.

Entre schismatiques

L’abbé Christophe Héry était schismatique, il ne l’est plus, mais ne semble pas avoir renié ses convictions - tout comme d’autres. Je n’ai rien contre l’IBP en tant que tel, et j’ai un grand respect pour son fondateur (dont je n’accepte pourtant pas les critiques sans nuances de Vatican II, assimilé à Mai 68 dans un récent entretien). Je déplorais son manque de charité à travers sa rhétorique : son titre "messe des Lumières", et le seul fait d’évoquer "le démiurge, l’Être suprême de Voltaire ou le Grand Architecte des Maçons", introduit le soupçon à l’égard de la liturgie Paul VI, avec tout ce que cela renvoie inconsciemment ou non à son public, très sensible et émotif à ces évocations.

Pour ces prêtres croyant jouir d’une autonomie écclésiale et de parole illimitée, ce qui est sorti de la visite de l’IBP me paraît clair et souhaitable :

"... il conviendrait d’intégrer l’étude du Magistère actuel des Papes et de Vatican II. La formation pastorale devrait être faite à la lumière de Pastores dabo vobis et la formation doctrinale insérer une étude attentive du Catéchisme de l’Église catholique.

Pour résoudre la question de l’implantation du séminaire, à moins d’une extension à Courtalain même, il serait possible d’interroger la Conférence épiscopale de France, afin qu’elle suggère elle-même des noms de diocèses où l’installer.

Plus que sur une critique, même « sérieuse et constructive », du Concile Vatican II, les efforts des formateurs devront porter sur la transmission de l’intégralité du patrimoine de l’Église, en insistant sur l’herméneutique du renouvellement dans la continuité et en prenant pour support l’intégrité de la doctrine catholique exposée par le Catéchisme de l’Église catholique."

Enfin, venons-en à ce qui vous chagrine : la comparaison "protestante". Pour ce qui est des sources, je cite et paraphrase librement ce qu’à écrit l’abbé de Tanoüarn sur son blog [2].
Evidemment, celui-ci ne partage pas la doctrine de Luther, mais son subjectivisme ("ces sacres étaient de Dieu") et son souci de minimiser la désobéissance écclésiale ont tout à voir avec l’entourage du Réformateur.

Ce subjectivisme se retrouve tant chez les progressistes radicaux (dont ces fameux prêtres d’Autriche) que dans les rangs de la FSSPX ou de ses dissidents. Les deux camps interprètent d’ailleurs Vatican II comme une rupture dans l’histoire de l’Eglise. Le schisme lefebvriste est issu de cette idée ("Rome n’est plus dans Rome !"), et s’est justifié lui-même par une autorité supérieure au Magistère, jugeant celui-ci : la conscience privée, ou le "libre-examen", cher à Luther.

Soyons clair : Martin Luther et Mgr Marcel Lefebvre préférèrent tous deux leur jugement personnel à l’autorité de l’Église. Ils se heurtèrent d’ailleurs à la même contradiction, en ce sens qu’ils revendiquèrent chacun le contraire. La Père de la Réforme n’a ainsi jamais voulu fonder une Eglise portant son nom, tout comme le fondateur de la FSSPX.

L’état de l’Eglise selon une certaine époque n’est pas supérieur au Magistère, qui est l’expression de la Tradition. Si celle-ci est appropriée par des groupes livrés à leur propre subjectivité, elle devient une idée reconstituée, un romantisme affectif et un héritage culturel, tout comme le sont les schtreimels lituaniens pour les Juifs ultraorthodoxes.

De mon point de vue, donc, l’homélie du pape peut être lue aussi bien pour les progressistes rebelles autrichiens que pour les traditionalistes anciennement rebelles de la FSSPX.

J’ajouterais enfin une chose, puisque l’on parle des protestants : quand je vois des évêques anglicans britanniques ayant trente ans de ministère rejoindre Rome dès 2009 en acceptant d’être ré-ordonnés diacres puis prêtres, ou d’être réduits à l’état laïc, et en tirant un trait sur leur salaire, leur statut social et politique, jusqu’à leur antique liturgie, pas encore entièrement introduite dans l’Eglise catholique romaine, je songe à l’attitude de la FSSPX.

Cher Monsieur Lamotte, je ne prétends pas être un intellectuel. Je ne prétends pas non plus être un théologien. Je peux affirmer en revanche que j’appartiens au Christ, et à l’Eglise qu’Il a fondé. C’est en toute humilité, mais sans rougir, que j’émets une opinion sur la vie de ma famille, en n’oubliant pas de confier le tout à la Très Sainte Vierge, qui défait tous les noeuds.


[1"L’Etat est incompétent en matière religieuse", rétorque le cardinal Ratzinger.

« Mais l’Etat a une fin ultime, éternelle », soutient Mgr Lefebvre.

Ca, c’est l’Eglise, Monseigneur, ce n’est pas l’Etat. L’Etat, par lui-même, ne sait pas ". (La crise intégriste, Nicolas Senèze, pp. 117-118)

2 mai 2012 Bougainville

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