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Quand la France naquit à Noël

Cet article a été publié pour la première fois le 18 décembre 2014

Hautbois jouent et musettes résonnent depuis deux mille ans, dans la froidure de décembre. Lyres et orgues exaltent la naissance du Sauveur, qu’acclament les gorges des fidèles. Le Roi des rois naquit à Noël. C’est à Noël également que naquit la France, terre de prédilection, royaume de piété, patrie de tant de saints.
Oui, la France naquit à Noël, à Reims, au milieu des glaives baissés et des guerriers à genoux ; des Francs ralliés et des prêtres vainqueurs. En recevant sur sa nuque l’eau sacrée du baptême, des mains ointes de S. Rémi, le roi Clovis gagnait son armée à la vraie foi. A la clameur du pavois s’ajoutait la transcendance de la Croix : la France naissait, et elle était chrétienne.

Miracle que cet accouchement au cœur de l’hiver ! Tandis que se répandait l’eau du baptistère sur une armée convertie, et que s’ébattait la colombe immaculée, le prodige français voyait le jour. La petite France ouvrait ses yeux écarquillés sur le monde, elle venait à la vie et respirait. Sans doute ses premiers cris furent-ils : « Noël ! Noël !  ».
La France venait de naître, en ce vingt-cinq décembre 496 [1]. Elle venait de loin : sa conception avait duré non pas neuf mois, mais cinq siècles.
Déjà, le ménage complexe de l’alouette gauloise et de la louve capitoline avait commencé de faire apparaître ses membres. Jacques Bainville ne manqua pas de souligner l’importance capitale de cette antique gestation, ces cinq-cent ans pendant lesquels la Gaule partagea la vie de Rome :

« Jamais colonisation n’a été plus heureuse, n’a porté plus de beaux fruits, que celle des Romains en Gaule. D’autres colonisateurs ont détruit les peuples conquis. Ou bien les vaincus, repliés sur eux-mêmes, ont vécu à l’écart des vainqueurs. Cent ans après César, la fusion était presque accomplie et des Gaulois entraient au Sénat romain.
Jusqu’en 472, jusqu’à la chute de l’Empire d’Occident, la vie de la Gaule s’est confondue avec celle de Rome. Nous ne sommes pas assez habitués à penser que le quart de notre histoire, depuis le commencement de l’ère chrétienne, s’est écoulé dans cette communauté : quatre à cinq siècles, une période de temps à peu près aussi longue que de Louis XII à nos jours et chargée d’autant d’événements et de révolutions. Le détail, si l’on s’y arrêtait, ferait bâiller. Et pourtant, que distingue-t-on à travers les grandes lignes ? Les traits permanents de la France qui commencent à se former.
 » [2]

L’ébauche de cette France, celte de sang et pénétrée de latinité, connaissait déjà le saint nom de Jésus. Martyre et charité avaient marqué la terre gallo-romaine. Au nom du Christ, la lyonnaise Blandine avait versé son sang dans les arènes de la capitale des Gaules. En Touraine, S. Martin avait prodigué la charité, déchirant son pourpre mantel et l’appliquant sur le dos frêle d’un miséreux.
C’est sur cette terre déjà ondoyée que fondirent les peuples germaniques. Rome s’écroulait, la Gaule s’abandonnait : la France était sur le point de naître. Mais le terme n’étais pas encore arrivé. Païens, les Francs saliens de Mérovée et Childéric tranchaient avec l’arianisme des autres Germains. S’ils ne confessaient pas la vraie foi et adoraient encore des idoles, au moins ne versaient-ils pas dans l’hérésie : situation qui allait se révéler providentielle en vue de la conversion.

C’est à Clovis, petit-fils de Mérovée, qu’allait incomber la tâche de faire venir au monde la petite France. Le destin du roi des Francs semblait se mêler à celui de l’Empereur Constantin. Ce dernier entrevit le Chrisme au Pont-Milvius [3], et ce divin signe lui donna la victoire ; le Franc sut vaincre les Alamans à Tolbiac. Au cœur de l’incertaine mêlée, l’armée franque dut son salut à la Croix. Les regards du païen se tournèrent vers le Ciel :

«  Ô Jésus-Christ, que Clothilde proclame fils de Dieu vivant, toi qui donnes une aide à ceux qui peinent et qui attribues la victoire à ceux qui espèrent en toi, je sollicite dévotement la gloire de ton assistance ; si tu m’accordes la victoire sur ces ennemis et si j’expérimente la vertu miraculeuse que le peuple voué à ton nom déclare avoir prouvé qu’elle venait de toi, je croirai en toi et je me ferai baptiser en ton nom. J’ai, en effet, invoqué mes dieux mais, comme j’en ai fait l’expérience, ils se sont abstenus de m’aider ; je crois donc qu’ils ne sont doués d’aucune puissance, eux qui ne viennent pas au secours de leurs serviteurs. C’est toi que j’invoque maintenant, c’est en toi que je désire croire, pourvu que je sois arraché à mes adversaires » [4]

« In hoc signo vinces  » [5] : le miracle du Pont-Milvius se répéta à Tolbiac. Clovis était vainqueur ; il pouvait se convertir.
Tout était prêt pour la naissance. La victoire se penchait sur le berceau de la France. Vieux sang gaulois, génie latin et glaive franc s’étaient réunis autour de la Croix. L’Eglise de saint Rémi, habile sage-femme, sortit avec douceur la tête de notre France. Au milieu des décombres d’un Empire romain depuis vingt ans éteint, la jeune enfant riait. La latinité se muait en Chrétienté ; le nourrisson en serait la fille aînée. Devant elle, les étendards du roi s’avançaient.
A Noël, le monde découvrait le nouveau-né, enfant des Romains et des Saliens. A Noël, l’Histoire rencontrait la France. Une croix d’or ornait sa frêle poitrine.


[1496 ou 498 : la datation exacte est l’objet d’éternels débats

[2Jacques Bainville, Histoire de France (1924).

[3La bataille du Pont-Milvius (312) opposa Maxence à Constantin. Peu avant le début des combats, Constantin vit le Chrisme (conjonction des lettres grecques Chi et Rho (XP), deux premières lettres du mot Christ, accompagné de la formule grecques Εν Τουτω Νικα : « par ce signe tu vaincras »

[4Grégoire de Tours, Histoire des Francs, II (576)

[5Traduction latine de la formule grecque Εν Τουτω Νικα : « par ce signe tu vaincras »

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